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l’Alsace, beaucoup de Français même semblèrent oublier l’autre morceau, cette autre partie du Rhin qui avait « tenu dans notre verre. » Quand déjà certains paraissaient oublier l’Alsace-Lorraine même, comment eussent-ils pensé aux quatre autres départements français perdus ? Et pour ceux que leur pensée portait vers le Rhin, ils songeaient au flot qui route sous le pont de Kehl, point à celui qui coule, majestueux, sous ceux de Coblence et de Cologne ? Déroulède faisait oublier Musset et Strasbourg Mayence.

Un jour d’août 1914, la Prusse elle-même déchira les traités. Ils sont tous déchirés, ceux de 1814 et de 1815 comme ceux de 1871. La table est rase, le tapis va s’étendre autour duquel seront débattus les droits.


Une nation peut juger opportun de ne point faire valoir tous les siens. Elle n’est pas autorisée à les oublier, encore moins l’est-elle à les dénier, — fût-ce par ignorance. Parce que nul n’ignorait parmi les Français d’autrefois que la Rhénanie avait été terre des aïeux dérobée par un subterfuge à la « couronne des Francs, » pendant près de neuf cents ans, sans se décourager, les rois portés par la Nation, ’stimulés au besoin par ses publicistes, guidés par leurs conseillers, ont travaillé à récupérer l’héritage perdu : peuplé exclusivement par les vieux Gaulois, colonisé par les Latins, opposé par les uns et les autres comme une barrière à l’invasion germanique, constitué en royaume franc et le plus important de tous par la race de Clovis, domaine préféré de Charlemagne, roi des Francs, perdu par un prodigieux malentendu et sans coup férir par notre nation, demeuré roman par la race et la langue tant de siècles, à peine rattaché par un lien de vasselage à un Saint-Empire qu’à l’origine, ils ne tenaient point du tout pour « germanique, » mais « romain, » penchant sans cesse vers la France au fond toujours préférée, allant à elle quand elle était entourée de prestige, favorisant sa politique et accueillant ses armes, la Rhénanie a été le souci principal de vingt de nos princes, de cent de nos hommes d’État et de Guerre de l’Ancien Régime. Et si national était ce souci que la Nation, à peine rendue à elle-même, courut au Rhin même et en acheva la reconquête si patiemment poursuivie et menée déjà si loin par les Rois. Un