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La Révolution avait jeté en Europe un ferment qui dissolvait un monde. Un de ses premiers effets devait être de détacher du corps germanique des provinces qui n’y étaient, nous le savons, qu’artificiellement rattachées depuis des siècles. Et tout naturellement ils allaient à la France.

En France, tout ce qu’il y avait de fort parmi les nouveaux gouvernants répondait à ces vœux. J’ai fait entendre, au début de cette étude, la formidable voix de Jacques Danton, revenu en moins de deux ans de l’idéologie internationaliste au réalisme national. Mais, dès avril 1792, Dumouriez, vieux routier de la guerre, avait, dans le Conseil des ministres, proclamé ce qu’avant lui un Condé, un Turenne et, avant eux, tant d’autres chefs de guerre avaient affirmé : « La France ne peut avoir de sécurité qu’avec la barrière du Rhin. » Le leader de la gauche de 1792, le Girondin Brissot, s’écriait, le 27 novembre : « La République française ne doit avoir pour bornes que le Rhin. »

Déjà nous étions sur le Rhin. Provoqués par les princes allemands, nous y avions jeté notre armée des Vosges commandée par Custine et la facilité même avec laquelle il avait conquis la rive gauche presque tout entière, démontrait, plus que tous les écrits des publicistes depuis huit siècles, que la marche était nôtre. Partout en effet, nous avions été accueillis en libérateurs. C’étaient des professeurs de Worms et de Mayence qui, Spire étant pris, étaient venus presser le général d’occuper leurs cités qu’abandonnaient précipitamment les princes allemands et leur camarilla. Il fallut la brusque intervention d’un corps prussien à Coblence pour empêcher les bourgeois de porter à Custine une capitulation spontanée. Mais, Mayence ayant ouvert ses portes après un très court bombardement, le général français l’avait traitée en amie. Alors était née dans la grande ville rhénane cette Société démocratique qui allait appuyer l’action militaire d’une vive propagande. Georges Forster, qui n’était point un agité, mais savant sans étourderie, vit clair tout de suite : favorable à la Révolution, mais foncièrement réaliste, il tenait pour périmée la domination allemande sur la rive gauche et avait rejoint au club nombre de Rhénans distingués, dont il s’était fait l’organe. Déclarant le Rhin « frontière naturelle d’une grande République, » il ne proclamait pas d’ailleurs, nous le savons, une vérité bien nouvelle. Déjà, ajoutait-il, les Alsaciens, Rhénans revenus à la France depuis un siècle et