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Philippe le Bel à coiffer la couronne impériale pour que fût facilitée la récupération totale des terres du Rhin, est un bien petit sire et la longue suite de conseillers qui, près des rois, prôneront l’entreprise, seront presque tous sortis du petit peuple de France ; bourgeois, petits-fils d’artisans, tous, ils sont, dix fois plus que les grands seigneurs, brûlés du désir de porter, ou d’un coup, ou par étapes, le petit-fils de Capet vers les limites naturelles, — vers le Rhin spécialement. Au XVIIIe siècle encore, d’Argenson n’écrira-t-il point que c’est dans le peuple que vit l’ambition de porter au Nord-Est plus avant la frontière du royaume ; et l’impopularité de Louis XV finissant, n’est-elle pas en partie née de cette alliance autrichienne dans laquelle la nation voit l’abandon, au profit des Habsbourg, du dessein si persévéramment poursuivi par vingt rois ?

J’ai montré comment, réalistes jusque dans leurs rêves les plus vastes, nos rois et leurs conseillers ont en quelque sorte rongé le domaine rhénan usurpé, enlevant de règne en règne ici un canton, là une province de l’ancienne Lotharingie, de cette Austrasie dont, cent fois, publicistes et légistes leur rappellent qu’ « elle était le domaine de nos premiers rois. » De Philippe le BCl accueillant l’hommage de Toul et de Verdun, — les premières étapes, — à Louis XIV récupérant Strasbourg et complétant ainsi cette œuvre capitale de Richelieu : la reprise de l’Alsace sur l’Empire, à Louis XV lui-même réunissant sans coup férir le duché de Lorraine, tous ou presque tous, si tous ne reconquirent point, préparèrent les voies à la totale reconquête. Il a fallu la guerre contre l’Anglais au cours de laquelle le royaume eut à disputer cent ans sa vie, les guerres civiles qui, au XVe, au XVIe siècle nous déchirèrent, et, entre temps, l’erreur des expéditions au-delà des Alpes, pour retarder l’accomplissement du grand dessein et des vœux de la nation.

Ce « grand dessein » ne trouve pas seulement des partisans dans les Français de toutes les classes, de tous les partis, — car successivement Armagnacs et Bourguignons au XVe siècle, successivement papistes et huguenots au XVIe, ont été hantés par le rêve qui, en partie réalisé par les rois, devait être consommé, après 1792, par la République : il trouve des complices, — fait remarquable, — chez les principaux intéressés, ces Rhénans même, arrachés jadis à la communauté celto-latine : bourgeois et princes des vallées meusiennes,