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ont été en quelque sorte noyés dans les millions de Gallo-Latins ; ils constituent une aristocratie, un état-major, un conseil d’Etat, mais autour d’eux la nation gallo-latine vit, qui les enveloppe et les pénètre : ces leudes, compagnons d’armes des fils de Clovis, ont adopté, avec la religion chrétienne et la langue de Rome, bien des mœurs et bien des institutions de la Gaule romaine. Les cités ont survécu : Strasbourg s’appelle encore Civitas Argentoratensium, Metz Civitas Mettensium, Trêves Civitas ïrevirorum, Mayence Civitas Moguntiacensium, — car, dans la Rhénanie, la vie reste tout aussi pénétrée de romanisme que dans la vallée de la Loire ou celle de la Seine. Et si le chef de la cité est franc, il s’appelle un Comes, un Comte. Et ce Comte serait aussi étonné qu’eût pu l’être tel légat romain des bords du Rhin si on lui venait dire qu’il gouverne des Germains… Le Germain, c’est toujours le Barbare d’en face, l’ennemi de la Rhénanie, — Thuringien, Saxon, que Dagobert tient en respect. Et le soin de le contenir incombe au comte franc comme jadis au légat romain.

Une famille s’élève précisément qui, parce que issue de ces régions, se tient pour ennemie née de Germain. Du château d’Héristal, en pays bas-meusien, sort cette race qui, après avoir fourni aux derniers fils de Mérovée les maires de leur palais, accédera au trône avec Pépin le Bref et lui donnera avec Charlemagne une si magnifique grandeur. C’est par leurs campagnes contre les Frisons, contre les Saxons, que les aïeux de Charlemagne se sont recommandés à la faveur des Francs et de la nation gallo-latine qu’ils gouvernent. C’est encore la Garde au Rhin que ces leudes du pays rhénan ont assumée, et, avant de faire sentir aux Sarrasins le poids de son martel, Charles, duc d’Austrasie, en a assommé le Saxon. Et ce sont les victoires de son fils Pépin contre Alamans, Bavarois, Frisons, Saxons qui portent au trône le maire d’Austrasie et sa race. Ainsi c’est toujours à celui qui l’a défendue contre les Barbares germains qu’ira la faveur de la Nation.

Le futur Charlemagne, — est-il besoin de le rappeler ? — fait plus : fidèle à la tradition romaine, il entend, — comme plus tard un Napoléon, — couvrir d’une marche la Rhénanie. Pour que les vignes qu’il vient de faire planter sur les coteaux du Rhin se puissent cultiver en paix, qu’en paix puissent s’élever les monuments qu’il élève, — à l’instar des Romains,