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français. Et Maître François Rabelais, qui ici incarnait bien l’esprit de la nation, se réjouissait de voir que « désormais la France seroit superbement bornée, » et « que seroient Français en repos assurés. »

Franchissons deux siècles et demi. Voici un tout autre décor et, en apparence, de tout autres acteurs. Le 31 janvier 1793, la Convention, qui, dix jours auparavant, a envoyé à l’échafaud le dernier roi de France, écoute, la fièvre dans le sang, un de ses plus célèbres Orateurs. Ce Jacques Danton accourt des régions rhénanes où les lieux, après les faits, lui ont soudain révélé notre Histoire. « Je dis, gronde le Titan, balayant d’un revers de main les objections des pusillanimes, je dis que c’est en vain qu’on veut faire craindre de donner trop d’étendue à la République ! » Un tonnerre d’applaudissements l’interrompt. « Ses limites, poursuit-il, sont marquées par la nature. Nous les atteindrons toutes, du côté du Rhin… » Les applaudissements redoublent. « …Là doivent finir les bornes de notre République et nulle puissance ne pourra nous empêcher de les atteindre. »

Quelques jours après, ce froid Lazare Carnot, — si différent du tribun, mais, comme lui, tout pénétré de l’esprit national, — dira : « Les limites anciennes et naturelles de la France sont le Rhin, les Alpes et les Pyrénées ; les parties qui ont été démembrées ne l’ont été que par usurpation ; il n’y aurait donc, suivant les règles ordinaires, nulle ambition à reconnaître pour frères ceux qui le furent jadis, à rétablir les liens qui ne furent brisés que par l’ambition elle-même. »

Il y avait alors 950 ans que, par le traité de Verdun, le pays celle de la rive gauche du Rhin, l’antique province romaine, l’ancien royaume de Clovis et de Dagobert, le berceau des deux premières races, le domaine préféré de Charlemagne avait été par surprise dérobé à la nation française. Mais, à travers trente générations, — on en suit pas à pas la marche persévérante, — s’était perpétuée l’idée que la France restait incomplète, menacée sur son flanc et d’ailleurs déséquilibrée si elle ne recouvrait point son hoir. Par ainsi, pas un instant, la prescription n’avait pu se faire. Mille ans ! Il n’y a pas cent dix ans aujourd’hui que l’héritage recouvré par la Nation en 1792, puis en 1794, rentré décidément en 1801 dans la communauté celto-latine, nous a été derechef arraché.