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l’Autriche, en s’en allant, cherche encore à semer entre eux et les Slaves la graine de discorde d’où elle espère que pourrait dans l’avenir repousser son mancenillier. D’où la cession anticipée de la flotte, les manigances de Pola et de Fiume.

En Hongrie, l’État magyar, le plus dense, le seul des défunts États de l’Empereur-Roi qui ait une densité et une pesanteur, et le plus vieux, millénaire, est aussi le plus coriace. Outre les Croates et les Slovaques, il risque de perdre les « Saxons, » qui s’agrégeraient à l’Autriche allemande, s’ils n’étaient d’ailleurs dispersés, et les Roumains de Transylvanie et de Bukovine, qui rejoindront leurs frères de par-delà les monts. Mais le noyau opposera à la dent une dure résistance. Comme les autres, le nouvel État magyar a son Conseil national : l’archiduc Joseph, promu homo regius (personne, en dehors d’eux, ne parlant le magyar, les Magyars, dans leur vie publique, ont longtemps parlé le latin), l’archiduc Joseph, chargé d’accommoder les restes, n’a pas réussi à constituer un ministère avec le comte Hadik; mais le comte Michel Karolyi, sur l’initiative du Conseil national, en a constitué un qu’il a fait postérieurement agréer par l’archiduc. A Budapest encore, sera-ce la monarchie, sera-ce la république? Le comte Michel Karolyi est un démocrate, mais d’une famille qui aime à rattacher ses origines à Charlemagne. Au total, plus d’Autriche-Hongrie, plus d’Autriche, une petite Hongrie, une Magyarie; plus d’empereur-roi, un fantôme d’empereur, un spectre de roi; plus de provinces: plus d’armée, plus de marine; voilà, pour la Couronne impériale et la Couronne de saint Etienne, le bilan de la guerre qu’en juillet 1914, sous le prétexte le plus futile, la Double-Monarchie se prêta à déchaîner sur l’Europe. Et ce n’est peut-être pas tout. En ce cadavre, il est à craindre que la pourriture bolcheviste ne travaille. Les Empires se liquéfieront par le poison qu’ils ont lancé. Crime et châtiment. Tout est bien. Le complice passe le premier. Mais l’auteur principal n’échappera pas... Depuis que Frédéric-Guillaume Ier força son fils à assister, tremblant, derrière une fenêtre, au supplice de Katt, les rois de Prusse connaissent le cérémonial des exécutions.

L’Allemagne, militairement du moins, n’en est pas encore où en était l’Autriche-Hongrie au milieu d’octobre. Elle fait une défense vigoureuse. Mais elle n’en est pas moins condamnée, et elle le sait. Il y a, pour la situation où elle se trouve, toute une série d’aphorismes, plusieurs fois, séculaires, qui ne sont pas du premier venu, et qu’on dirait avoir été émis tout exprès à son intention. « De tous les