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écrivassier devant Dieu et devant les hommes ; depuis le livre qu’il a consacré, encore jeune, au compromis austro-hongroîs, à l’Ausgleich négocié par son père et François Deak, par-dessus des piles de brochures, il a inondé la presse d’articles de revues et de journaux, pour la plupart imprégnés d’une germanophilie farouche. Politicien à idées, qui est la pire engeance, et tourmenté du besoin de se produire, pour qui agir, c’est s’agiter; parlant volontiers, avec l’apparence de se faire arracher les mots et la réputation de ne pas dire d’abord ce qu’il pourrait dire de plus intéressant. Je le revois, il y a vingt ans; figure ingrate et sombre dans le gai décor d’un cercle aristocratique ; en cette tête, que de passion concentrée, que d’ambition aigrie, quelle sûreté de soi, et quel mépris d’autrui! Et je revois aussi, dans un décor analogue, cette autre figure sombre jusqu’aux ténèbres, Etienne Tisza, qui s’est fait ensuite le chef et le champion des féodaux, mais dont le titre de fraîche date faisait sourire les magnats d’ancienne souche, enfant prodige, en qui l’on saluait alors, avec une volonté précoce, les plus belles espérances, et qui vient de payer de son sang, goutte perdue au milieu des flots de sang répandus par sa faute, ses goûts, ses manières tyranniques, et l’inexpiable forfait d’une guerre scélérate. Et autour deux, je revois, en outre, la troupe de leurs amis et de leurs adversaires, leurs maîtres et leurs émules, ceux qui étaient disparus au long de ce quart de siècle, ceux qui disparaissent à présent; et c’est, dans le brillant décor écroulé, la fin d’un monde.

A peine introduit au Ballplatz, en possession de la plume et du sceau, le comte Jules Andrassy a adressé coup sur coup deux appels au gouvernement des États-Unis. Dans le premier, il ne se montrait pas plus fier que le chancelier de l’Empire allemand. Le Président Wilson voulait que « les droits des peuples d’Autriche-Hongrie, spécialement ceux des Tchéco-Slovaques et des Yougo-Slaves, fussent reconnus. » Parfait! Le gouvernement impérial et royal était de cet avis autant et presque plus que M. Wilson lui-même. Rien ne faisait donc plus obstacle « au commencement des pourparlers sur l’armistice et la paix. » Qu’est-ce qui les retarderait? Les hésitations de l’Allemagne, les sursauts de son amour-propre militaire? Le gouvernement austro-hongrois se déclarait prêt, « sans attendre le résultat d’autres négociations, » — et l’on devinait lesquelles, — à entrer, pour son compte, dans ces pourparlers. Il priait seulement le Président de « vouloir bien faire des ouvertures à ce sujet. » Dans son second appel, le comte Andrassy se montrait encore plus pressé. Quarante-huit heures ne s’étaient pas écoulées