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C’est évidemment cette appellation allemande qui par la Belgique, la Suisse et même le front, — car les prisonniers sont d’excellents porteurs de germes, — nous est venue, avec la chose qu’elle désigne. Il est en effet prouvé que cette maladie a sévi chez nos ennemis bien avant chez nous, et qu’elle y fit des ravages sérieux. J’en vois une des meilleures preuves, à côté d’autres plus positives, dans le fait que les journaux médicaux allemands, que je reçois régulièrement par des voies qui me mettent à l’abri du reproche de commerce avec l’ennemi, n’en ont jamais parlé qu’avec des circonlocutions et des imprécisions, où se reconnaissent les directives catégoriques et évidemment motivées de la censure prussienne.

Un député allemand, M. Hermann Leuse, a d’ailleurs déclaré dans une interview publiée récemment par le journal danois Politiken, que la mauvaise tournure prise par la guerre du côté germanique est due, premièrement à la présence des Américains, et secondement à la grippe espagnole, qui aurait mis hors de combat, depuis le mois de juillet, des centaines de milliers de soldats du kaiser.

Je ne serais point surpris, — un député allemand est capable de tout, même de dire une fois la vérité, — qu’il y ait quelque chose de réel dans cette affirmation. Étant donnée la gravité que nous voyons prendre à cette maladie dans nos populations et dans nos troupes, on peut imaginer quels ont pu être ses ravages dans celles beaucoup plus surmenées, moins bien nourries de nos ennemis, qui devaient être dans un état de réceptivité exacerbé.

Ils ne sont point légers parmi nous ces ravages, et pourtant d’abord on les négligea, on en sourit presque, avec cette légèreté un peu imprévoyante qui est à la base de nos défauts, et aussi, il est vrai, de nos qualités, puisque c’est elle qui sert de prétexte aux merveilleux redressements, aux improvisations éblouissantes du génie français. Malheureusement, — et cette remarque s’applique aussi à des domaines étrangers à la pathologie, — je crois que, même en France, il vaudrait tout de même mieux prévenir que guérir, et que, finalement et tout compte fait, cela coûterait encore moins cher en précieuses énergies et en vies irréparablement dépensées.

J’ai sous les yeux un rapport d’un haut fonctionnaire envoyé spécialement en Suisse en mission à ce sujet, — c’est ce qu’on appelle prendre des mesures, — et qui opina gravement que la grippe est une affection relativement peu grave, et pour laquelle des mesures de quarantaine ou de désinfection aux frontières applicables à d’autres maladies seraient injustifiées. Depuis, il a fallu déchanter. — La vérité est