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pourvue de richesses par la science industrielle et l’intensité des échanges au XIXe siècle, pût jamais revenir à la misère et à la disette des temps anciens ? Comment supposer que la rupture des relations commerciales entre belligérants, fâcheusement provoquée par la guerre, pût, plus fâcheusement encore, survivre à celle-ci et empêcher le grand concert d’efforts auquel l’humanité devra se vouer pour restaurer ses forces amoindries par la catastrophe ? C’était trop demander à toutes les doctrines et à toutes les routines que de les convier à une telle répudiation de leurs croyances et de leurs habitudes.

Les années ont passé cependant et elles ont, l’une après l’autre, donné raison aux prévisions de M. Hughes. La disette est venue, elle est venue partout, même chez les neutres ; elle s’est produite en toutes matières, jusque dans celles qui sont le moins directement affectées par la guerre ; elle s’est révélée si intense, si profonde et si variée tout à la fois, qu’il a bien fallu reconnaître qu’elle durera nécessairement plusieurs années après la fin des hostilités. Disette de capitaux, cela va sans dire, et disette incomplètement connue, puisqu’il n’est pas encore possible de dresser le bilan final des dépenses, non plus que de chiffrer le total des impôts qu’il faudra créer pour y pourvoir. Disette de matières premières : des mines de charbon et de fer ont été mises hors d’usage et ne pourront reprendre leur production normale qu’après de longues années de réfection ; des forêts immenses ont été exploitées jusqu’à destruction des souches ; des troupeaux entiers ont été décimés. Disette de denrées alimentaires : des terres ont été bouleversées par faits de guerre, d’autres insuffisamment cultivées, faute d’engrais et de soins appropriés. Disette de produits fabriqués : des centaines d’usines ont été démolies par le canon ou méthodiquement saccagées et pillées par l’ennemi ; d’autres, détournées de leur destination de paix, ont été affectées aux fabrications de guerre. Disette de moyens de transport : la guerre sous-marine a coulé des millions de tonnes de navires ; le matériel des voies ferrées surmené, mal entretenu, ne suffit plus à sa tâche. Disette enfin de main-d’œuvre : les millions de vies et de mutilations qu’aura coûtées la guerre rendront impossible de longtemps la reprise de l’émigration où s’alimentaient certains pays neufs, et difficile, dans les vieilles contrées, la remise en marche de ! a machine économique.