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s’agiter pour remettre sur pied le projet de conférence internationale ouvrière avorté en 1917, travaillant, prétendait-il, à une paix de conciliation qui finirait fatalement par détruire le militarisme et, par conséquent, par supprimer, comme devenant sans objet, le problème de l’Alsace-Lorraine, sur lequel aucun accord n’était actuellement possible entre les intéressés.

Cela encore n’était que formules creuses et traîtresses. Mais, incidemment, Troelstra dévoilait son arrière-pensée, en rappelant[1] qu’un des nombreux diplomates qui se sont succédé à la Wilhelmstrasse au cours de la guerre, le sous-secrétaire d’Etat Zimmermann, lui avait manifesté l’espoir que les succès militaires allemands permettraient d’englober la France et aussi la Belgique dans l’union douanière germanique. Désormais, il devenait aisé de comprendre la manœuvre ; d’autant plus même, que chacun se rappelle encore et les efforts répétés du Cabinet de Berlin pour s’ouvrir le marché financier de Paris avant 1914 ; et les multiples tentatives faites durant les hostilités pour éveiller les susceptibilités et les inquiétudes de la France contre les prétendues ambitions secrètes de l’Angleterre ; et l’achat d’un grand quotidien parisien pour répandre ces impressions ; et les récentes paroles du comte Hertling sur le péril anglo-saxon qui menace l’Europe, ses chefs d’industrie et ses ouvriers de la concurrence américaine. Le plan était clair et manifeste : on voulait à tout prix sauver la mise économique, et l’on y employait maintenant Troelstra, après tant d’autres qui avaient échoué dans l’entreprise.

La lumière, si éclatante fût-elle, ne se fit pourtant pas pour tous les meneurs du socialisme français. L’année 1917 leur avait apporté de grandes et multiples déceptions : ils n’étaient encore remis ni des illusions qu’ils s’étaient formées sur la valeur révolutionnaire et gouvernementale de Kerensky, ni de l’échec du projet de conférence de Stockholm ; pour se consoler des premières, ils avaient, dans l’Humanité au 19 décembre, donné leur adhésion « aux formules générales de paix juste, rapide et durable, adoptées par la Russie nouvelle, » et ces formules avaient abouti au lamentable et redoutable fiasco de Brest-Litovsk ; pour se venger du second, ils avaient retiré avec éclat leur participation dans la formation des cabinets

  1. Interview publiée par l’Information du 10 juillet 1918.