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bien qu’il procédât à ses préparatifs de départ, avait tenu à assister, l’Empereur l’interpella :

« Vous êtes donc malade, général, et au point de vouloir nous quitter ?

— Je ne suis pas malade, Sire ; mais, mon gouvernement me rappelle, » répondit Appert.

Est-ce à ce moment que l’Empereur soupçonna qu’on avait voulu le tromper sur les véritables causes d’une mesure qui éloignait de lui un ambassadeur auquel il s’était attaché et vit dans la conduite du gouvernement français un manque d’égards ? Il est assez difficile de le préciser. Ce qui est hors de doute c’est que son langage au général Appert, en lui exprimant ses regrets, laissait prévoir la grave résolution qu’il prit peu de jours après.

« Des ambassadeurs sont bien inutiles dans l’état actuel des choses, observa-t-il. Des chargés d’affaire suffiront. »

Le lendemain, il partait pour la Crimée avec sa famille. Son séjour à Livadia devait être de six semaines. En y donnant rendez-vous à de Giers qu’il voulait avoir auprès de lui, il lui ordonnait de prescrire au baron de Mohreinkem un congé illimité. Quant à un nouvel ambassadeur de France à Saint-Pétersbourg, il ne voulait pas en entendre parler : « Je ne veux ni Billot ni personne. « Il entendait aussi que jusqu’à nouvel ordre ses intentions demeurassent secrètes et ne fussent connues que de ceux à qui il était nécessaire de les communiquer.

Notre chargé d’affaires M. Ternaux-Compans les ignorait. Mais, un entretien qu’il avait eu avec de Giers avant le départ de celui-ci l’avait plongé dans l’anxiété. « Je serais aux regrets, lui avait dit le ministre russe, que le rappel du général Appert altérât les bonnes relations que je désire voir se former entre la France et la Russie. Aussi, pendant mon séjour à Livadia, m’efforcerai-je d’effacer dans l’esprit de l’Empereur toute trace du mécontentement que lui a causé ce rappel d’un ambassadeur qu’il avait en haute estime. Mais je ne saurais vous dissimuler que ses vues et ses principes en matière de gouvernement s’accordent assez peu avec le régime que la France a adopté comme avec les tendances actuelles de la politique républicaine. Toutefois ce serait se méprendre sur ses véritables dispositions que de ne point les considérer comme très favorables à la France et de lui attribuer un autre sentiment qu’une