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si nous savons l’interpréter, elle va cependant nous renseigner sur la pensée de ses lecteurs. Les informations mensongères, les statistiques truquées, les remontrances, les conseils de résignation, les appels au patriotisme, les malédictions lancées contre l’ennemi, les promesses de butin et de conquête, tout ce qui remplit un journal allemand, correspond jour par jour aux mouvements de l’opinion. Ces mouvements, l’autorité les connaît par les rapports de ses informateurs et de ses policiers. Ainsi s’établit entre elle et le public un dialogue quotidien. La presse nous livre les propos d’un des deux interlocuteurs ; mais aux réponses de l’un on devine les objections de l’autre. Le ton et les arguments de ceux qui ont mission de « faire l’opinion » révèlent les enthousiasmes, les soucis et les inquiétudes du public.

Telle est la méthode que nous voudrions appliquer en parcourant la presse allemande depuis le mois d’août 1915.

Ce simple essai ne prétend pas donner un tableau complet de l’état moral de l’Allemagne durant la guerre : il ne tient pas compte suffisamment des nuances d’opinion qui, dans un même moment, séparèrent les diverses régions de l’Empire ou les diverses classes de la population ; il décrit seulement à grands traits les phases d’exaltation ou de dépression que le peuple a traversées pendant ces quatre années. Cependant, cette étude, si sommaire soit-elle, fournira quelques données psychologiques dont on pourra faire état, le jour où se discutera le sort de l’Allemagne vaincue.


AVANT LA GUERRE

En juillet 1913, l’auteur d’une note vraiment prophétique, adressée à notre ministère des Affaires étrangères sur l’opinion publique en Allemagne, écrivait : « Il y a un parti de la guerre avec des chefs, des troupes, une presse convaincue ou payée pour fabriquer l’opinion et des moyens varies et redoutables pour intimider le gouvernement. Il agit sur le pays avec des idées claires, des sentiments ardents, une volonté frémissante et tendue. » Ajoutons que ce parti, le parti pangermaniste, pour l’appeler de son vrai nom, ne faisait que réveiller les instincts de conquête et de domination qui jamais ne sommeillent longtemps chez les Germains. Les écrits, les discours, les passions