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ambassadeur un accueil exceptionnel et, à cet égard, l’espoir qu’il avait conçu ne fut pas trompé. Constatons toutefois que les événements qui se déroulèrent en Europe au cours de sa mission ne laissaient que bien peu de place à l’action de la France. Chez nous, l’idée d’une alliance avec la Russie n’était encore qu’à l’état embryonnaire ; dans le gouvernement, personne n’y pensait et Alexandre continuait à pratiquer envers la France et l’Allemagne sa politique de bascule, sans parvenir toujours à dissimuler que le souci de sa sécurité le poussait plutôt du côté de l’Allemagne où ses appréhensions ne trouvaient des échos que contre la France. Le 10 septembre 1883, tandis qu’une mission militaire russe, sous les ordres du général Dragomiroff, part pour notre pays afin d’assister aux grandes manœuvres d’automne, l’Empereur télégraphie de Copenhague à son ministre de Giers resté à Saint-Pétersbourg « qu’il importe de prescrire par télégraphe à ce général de se montrer très circonspect et très réservé dans son langage pendant son séjour au quartier général de l’armée française. » Simple mesure de prudence vis-à-vis de l’Allemagne, qui s’irriterait d’un nouvel incident Skobeleff, mais révélatrice du constant souci de l’Empereur de vivre en bon accord avec son voisin, non qu’il se dissimulât que de tous côtés se multipliaient les causes d’antagonisme qui liguaient contre la Russie sous des formes diverses l’Allemagne et l’Autriche, l’Italie et l’Angleterre, mais parce que trop souvent les actes du gouvernement de la République lui déplaisaient et ne lui permettaient pas de supposer qu’un jour viendrait où il y aurait utilité pour ses propres intérêts à se rapprocher de lui.

Le général Appert n’était pas chargé de travailler à ce rapprochement, mais d’entretenir les bons rapports entre Saint-Pétersbourg et Paris en fournissant au besoin des explications sur des faits dont l’Empereur, faute de les comprendre, prenait ombrage et en s’attachant à démontrer qu’ils étaient uniquement la conséquence des institutions adoptées par le pays. Il se montra supérieur dans ce rôle et sa franchise lui valut promptement la confiance et la faveur d’Alexandre III, qu’il conserva jusqu’à la fin de sa mission, sans avoir eu à traiter avec la chancellerie russe aucune affaire importante.

Il était depuis peu de temps à Saint-Pétersbourg lorsqu’on apprit que le prince Orloff, ambassadeur de Russie à Paris, était