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Ce n’est pas qu’à ce moment le nihilisme se fût relevé de l’état d’impuissance auquel il était réduit par suite des entraves apportées à ses progrès par la vigilance de la police. Mais les découvertes que faisait celle-ci fournissaient la preuve qu’il ne renonçait pas à ses criminelles entreprises et attendait son heure pour y revenir, se contentant de jeter de temps en temps des coups de sonde à droite et à gauche comme pour s’assurer un terrain propice à son action au jour et à l’heure où il lui conviendrait de l’exercer. L’année suivante, au mois de mai, la police, ayant été amenée à procéder à plusieurs arrestations, put constater que l’armée commençait à subir la contagion des idées révolutionnaires. En janvier, le colonel de gendarmerie Souderkine avait été assassiné, en des circonstances particulièrement odieuses, par un sieur Jablonski, nihiliste vendu à la police à qui il inspirait confiance. L’assassin l’avait attiré chez lui sous prétexte de lui faire des révélations, et, dans ce guet-apens, Souderkine avait trouvé la mort. On l’avait relevé à la porte de l’appartement atteint d’une balle et assommé. Un officier qui l’accompagnait était évanoui et blessé. Le crime accompli, l’assassin avait pris la fuite et s’était réfugié en France. Mais un peu plus tard, il avait eu l’audace de revenir à Saint-Pétersbourg où, quoique très connu, il était resté cinq jours, sous l’œil de la police qui le croyait toujours à Paris. Il était alors parti pour Novgorod où il avait été reçu et caché par des officiers de la 22e brigade d’artillerie, qui tenait garnison dans cette ville. Ils avaient ensuite facilité son départ pour les Etats-Unis où il était arrivé sain et sauf. Le gouvernement russe songea d’abord à demander son extradition. Mais, il ne tarda pas à y renoncer, convaincu qu’il ne l’obtiendrait pas. Au même moment, on découvrit que les officiers de la IIe brigade en résidence à Saratof vivaient en bons rapports avec les membres les plus dangereux du parti révolutionnaire et leur distribuaient des secours.

Il fallait couper court à des faits d’une telle gravité et à la propagande dans l’armée dont on venait de saisir sur le vif les douloureux résultats, d’autant plus alarmants que les coupables bravaient ouvertement la police. Elle avait promis par voie d’affiche une récompense de dix mille roubles à qui les dénoncerait, mais durant la nuit, sur cette affiche, on en avait posé une autre par laquelle il était dit que le dénonciateur serait