Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 48.djvu/39

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Enfin un syndicat de métallurgistes fonda l’ « Ala » (Allgemeine Anzeigergesellschaft), société dont le but apparent était de faire de la réclame en faveur de certains établissements industriels, mais dont le véritable objet était de subventionner la presse en lui distribuant des annonces.

Le militarisme et la métallurgie, sa fidèle alliée, ont ainsi étouffé dans la presse allemande jusqu’à la moindre velléité d’indépendance. Notons seulement que l’asservissement de la presse est un peu moindre dans l’Allemagne du Sud que dans celle du Nord. Un journal socialiste bavarois, la Münchner Post, a parfois une certaine liberté de langage. Quelques tracts anonymes distribués sous le manteau échappent à la censure, mais, parmi ces publications clandestines, beaucoup sont fabriquées par la police dans un dessein de provocation.

De temps à autre, licence est donnée à un journal de publier un article où les actes de l’autorité sont assez vivement attaqués, mais c’est pure duperie. En pareilles circonstances, l’autorité a jugé prudent de donner une satisfaction platonique à une certaine partie du public, ou bien elle a permis l’expression d’une opinion qui demain pourrait bien devenir la sienne, si les événements l’exigeaient, ou bien elle a cru à propos de faire naître certaines illusions soit chez l’ennemi, soit en pays neutre. En réalité, dans un journal allemand, il n’y a pas une ligne, pas une seule, qui ne soit inspirée par le gouvernement ou tolérée par lui dans un intérêt déterminé. Quand on laisse les socialistes s’émanciper et prononcer des paroles presque révolutionnaires, c’est qu’on juge opportun de mystifier les socialistes étrangers. Quand des libéraux se permettent de renvoyer Hindenburg à sa stratégie et jurent que les pangermanistes sont une poignée d’énergumènes désavoués par la sage et pacifique Allemagne, c’est qu’on trouve utile de rassurer les démocrates ingénus de la Suisse allemande. Ces articles-là sont destinés à l’étranger : Wolff est chargé de l’exportation. On ne les laisse paraître que si on les croit sans péril pour l’opinion allemande. Du reste à celle-ci l’on a bien soin de servir tout de suite l’antidote, soit dans le journal du lendemain, soit dans une autre colonne du même numéro.

Il est donc inutile de demander à la presse autre chose que l’expression des idées et des intentions des dirigeants. Mais,