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1882, lorsqu’il vivait enfermé à Gatchina n’en sortant qu’accidentellement, et dirigeait de cette retraite les affaires de l’Empire, il ne prévoyait pas qu’un jour viendrait où il orienterait son pays vers de nouveaux destins et s’engagerait sur des routes aboutissant à l’alliance franco-russe. Néanmoins, on constate en lui, dès ce moment, un désir, peut-être inconscient, mais positif, de ne pas se les fermer et ce désir s’accentue plus ou moins au gré des circonstances qui l’autorisent à mettre en doute la sincérité du chancelier d’Allemagne dans ses rapports avec lui. Au reste, les questions internationales sur lesquelles un complet accord avec son puissant voisin eût été impossible tenaient trop de place dans la politique des deux empires pour que ces rapports ne fussent pas fréquemment troublés. Il s’en irritait et c’est alors qu’il s’attachait à ne rien faire qui pût porter ombrage à la France.

Dans l’apaisement qui se produisit en Russie après que ses peuples eurent pris leur parti du maintien du régime autocratique, on ne peut guère signaler que la liberté laissée à la presse de discuter les questions de politique extérieure. Pour les publicistes, elles se résumaient en une seule, celle de savoir si la Russie avait intérêt à marcher d’accord avec l’Allemagne et l’Autriche et s’il ne convenait pas qu’elle tendit la main à la France. Il était bientôt visible qu’en opposition aux idées et aux intentions de l’Empereur, un parti se formait en faveur de cette dernière solution. Il multipliait contre les Allemands les soupçons et les reproches et notamment à propos de la Pologne : « Ils y poursuivent, disait la Novoié Wremia, un travail patient, opiniâtre, systématique et bien allemand. On ne saurait dire qu’il est lent, attendu que de notre côté on n’y oppose aucune résistance. Les biens mis en vente par des Polonais ruinés sont achetés aussitôt par des Allemands, qui s’entourent d’intendants allemands et de jardiniers allemands ; les paysans eux-mêmes finissent par apprendre la langue allemande et par oublier la langue russe. »

Ainsi s’affirmait dans l’Empire une dualité d’opinions à laquelle il ne semble pas que l’Empereur ait tenté de mettre un terme. L’indifférence apparente avec laquelle il laissait couler ce flot permettrait de croire qu’il cherchait sa voie si, d’une part, on ne le voyait tolérer certains faits dont s’offensait l’Allemagne et, d’autre part, comme s’il eût voulu en atténuer