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inactivité répandra dans l’empire l’illusion d’un calme retrouvé. A travers ces circonstances, il apparaîtra que l’autorité impériale a eu raison des périls qui la menaçaient, qu’elle est en possession de la confiance nationale et l’Empereur aura le droit de se féliciter d’avoir résisté aux conseillers qui voulaient le faire renoncer au régime autocratique et de se dire que c’est à ce régime que sa dynastie doit son salut. Mais, ce n’est pas du jour au lendemain que ces résultats seront acquis et que les sujets d’Alexandre III se résigneront à voir indéfiniment ajournée la réalisation de leurs espérances.

Le principal obstacle à leur résignation vient de l’affectation que met l’Empereur à prolonger son séjour à Gatchina. On avait espéré qu’après la proclamation du rescrit impérial maintenant le régime autocratique, il aurait à cœur de rentrer dans sa capitale. Il n’en fut rien. On eût dit qu’il redoutait de prendre contact avec son peuple, et celui-ci ne dissimulait pas son mécontentement. « Saint-Pétersbourg sans la cour est une ville morte, disait-on. L’absence de la famille impériale constitue un dommage pour le commerce, pour les industries de luxe, pour les grands restaurants et les lieux de plaisir. Tout le monde se plaint. » Mais l’Empereur restait insensible à ces plaintes ou semblait ne pas les entendre. C’est à peine s’il se laissait entrevoir hors de sa retraite. On signalait comme des événements exceptionnels les rares apparitions auxquelles il se prêtait, — telle sa présence le 22 août aux grandes manœuvres de Krasnoïé-Selo, la première fois de son avènement où il se montrait à cheval. L’Impératrice à cheval comme lui ne l’avait pas quitté et avait défilé avec leurs enfants sur le front des troupes. Le général Chanzy qui assistait à ces manœuvres porte un jugement plutôt favorable sur l’armée qui a manœuvré devant lui.

« Les soldats sont exercés, vigoureux, résistants ; les officiers capables sans être brillants, pénétrés du sentiment du devoir, les généraux sont sûrs d’être obéis. »

On doit conclure de ces propos, s’ils expriment la vérité comme on doit le supposer, qu’à l’époque où ils étaient tenus par un homme dont on ne saurait contester l’expérience et la compétence en matière militaire, l’esprit révolutionnaire n’avait pas contaminé l’armée russe ni porté atteinte à sa discipline.

Quatre jours après ces exercices, l’Empereur se déplaçait de