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Même jugement porté à la même date par le kronprinz Frédéric, rentré à Berlin après avoir assisté aux obsèques impériales. Il gémissait sur l’incorrigible frivolité de la Haute société russe et du monde gouvernemental.

En comparant ces appréciations qui pourraient être multipliées aux événements plus ou moins tragiques qui se sont produits depuis, on est amené à conclure que ces prophètes ne se trompaient que sur la date des catastrophes qu’ils prédisaient ; elles se sont réalisées, mais plus tard qu’ils ne l’avaient prévu. Du reste, à l’heure où ils les annoncent, la situation varie à tout instant et se présente sous les formes les plus contradictoires. Tantôt, comme au lendemain du crime, elle semble sans remède ; c’est le moment où le procès intenté aux assassins révèle leur cynisme et toute l’étendue de leur criminelle audace. L’un d’eux avoue qu’il a été tellement impressionné par le meurtre accompli sous ses yeux que, plaçant sous son bras la bombe dont il devait se servir si les premières étaient restées sans effet, il a aidé à transporter l’Empereur mourant dans son traîneau. Tantôt ce sont des députations de paysans qui arrivent de tous côtés dans la capitale pour protester de leur dévouement à la dynastie, ce qui permet d’espérer que peu à peu le sentiment public aura raison des menées anarchistes. D’abord, on avait voulu interdire ces manifestations ; mais on a dû céder aux vœux des manifestants à qui, malheureusement, on n’accorde pas la faveur de voir l’Empereur, qu’ils sollicitent avec instance et sans succès. L’Empereur était toujours enfermé à Gatchina, d’où l’on attendait impatiemment la parole qui devait décider du sort de la Russie. C’est seulement le à mai qu’Alexandre III lançait la proclamation révélatrice de sa volonté.

« Dans notre profonde affection, disait-il, la voix de Dieu nous ordonne d’assumer courageusement la tâche de régner, d’espérer en la Providence divine, d’avoir foi dans la force et la vérité de l’autocratie que nous sommes appelé à affermir et à défendre pour le bien du peuple contre toute tentative dirigée contre elle. »

Ce manifeste causa dans les milieux dévoués à la dynastie la plus douloureuse surprise comme s’ils eussent compris que le régime réactionnaire ne profiterait qu’aux hommes de désordre et assurerait à leurs entreprises un théâtre plus vaste en