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vue extérieur qu’au point de vue intérieur, il resterait fidèle aux opinions qu’il professait alors qu’il n’était encore que prince héritier. On prédisait qu’il marcherait résolument dans la voie libérale où s’était engagé Alexandre II et que, pour se mouvoir sur le terrain international, il s’inspirerait moins que ne l’avait fait ce souverain du désir de ne pas porter atteinte aux relations familiales qui existaient entre lui et Guillaume Ier.

Il n’est pas téméraire de supposer que si Alexandre II fut, comme on dit, mort de sa bonne mort, les espérances que les amis de la Russie fondaient sur les intentions attribuées à son successeur se seraient réalisées. Mais le forfait abominable dont il avait été la victime, les complots et les assassinats qui avaient précédé celui-ci et qui attestaient l’audace et les progrès du nihilisme n’étaient pas de nature à encourager les velléités libérales naissantes d’un souverain jeune, inexpérimenté, prompt à se laisser intimider par les attentats dirigés contre sa dynastie, et qui, dans cet instant tragique où le sang-froid, l’énergie, l’esprit de résolution, lui eussent été si nécessaires, semblait déconcerté et ne songer qu’à mettre sa femme, ses enfants et lui-même à l’abri de nouveaux crimes. Maintenant, on n’espérait plus guère qu’il réaliserait ce qu’on avait attendu de lui. Mais que ferait-il ? C’est la question qui jaillissait de toutes les lèvres. On racontait qu’aussitôt après cet assassinat, il avait enjoint au ministre de l’Intérieur Loris Melikoff de se conformer aux dernières instructions de l’Empereur défunt, ce qui prouverait que son premier mouvement avait été en faveur des réformes. Le maintien des ministres de son père qu’il savait convaincus de la nécessité pour le gouvernement impérial de marcher résolument dans cette voie fut d’abord considéré comme une preuve de son accord avec eux.

Mais elle est singulièrement fragile cette preuve, si l’on veut admettre que les résolutions qu’il était tenu de prendre ne pouvaient être prises qu’après de mûres réflexions auxquelles les circonstances ne lui permettaient pas de se livrer avec suite. Les obsèques d’Alexandre II se préparaient. D’Allemagne, d’Angleterre, d’Autriche, cours alliées, et d’ailleurs encore, arrivaient pour y assister des princes et des délégués. En vérité, il est assez difficile de préciser ce que voulut le jeune empereur durant ces journées émouvantes, au cours desquelles le cérémonial de