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Il n’apparaît pas qu’entre le père et le fils le même accord existât en ce qui touchait la politique extérieure du gouvernement impérial, telle qu’en dépit de difficultés incessantes n’avait cessé de la pratiquer Alexandre II. Celui-ci avait toujours eu à cœur de cultiver l’amitié traditionnelle de la Russie pour la Prusse, cimentée par l’alliance matrimoniale qui, jadis, dans la personne de Nicolas Ier, avait uni les Romanoff aux Hohenzollern. Les circonstances ne sont pas rares, — tel par exemple le dénouement de la guerre de 1871, — où cette affection de la cour d’Alexandre II pour celle de Guillaume Ier s’était manifestée avec éclat. Elle avait même survécu aux déceptions infligées à la Russie au Congrès de Berlin par la coalition de l’Allemagne, de l’Autriche et de l’Angleterre. Les relations entre les gouvernements s’étaient refroidies ; entre les familles souveraines, elles s’étaient maintenues aussi chaleureuses et aussi cordiales que par le passé.

En serait-il de même sous le règne d’Alexandre III ? Quand il n’était encore que grand-duc héritier, on aimait à en douter dans les milieux où l’on souhaitait que la Russie se libérât des influences allemandes. Gendre d’un souverain spolié par la Prusse, passionnément attaché à la princesse danoise dont il était l’époux, il ne pouvait éprouver pour l’Allemagne les mêmes sentiments que son père et bien que sa mère appartint à la maison de Hesse-Darmstadt, c’est bien plus à celle de Danemark qu’allaient ses sympathies et ses préférences. Quoique tenu à beaucoup de discrétion et de réserve, son peu de goût pour les Allemands se trahissait à l’occasion dans ses paroles et comme malgré lui, surtout lorsqu’il constatait la présence d’un trop grand nombre d’entre eux dans le fonctionnarisme et dans l’armée de son pays.

Un jour où on lui présentait les officiers d’un régiment russe, — il n’était encore que tsarewitch, — on l’avait vu s’impatienter de n’entendre prononcer pendant ce défilé que des noms de consonance tudesque et lorsqu’un nom de consonance russe avait frappé son oreille, il s’était écrié en poussant un soupir de soulagement : « Enfin ! »

C’est en se rappelant des traits de ce genre et l’approbation qu’il donnait aux réformes préparées par son père que dans son entourage intime, seul confident de ses vues personnelles, on était convaincu qu’une fois empereur, et tant au point de