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chaque particulier sont prêts, quoi qu’il advienne, à tout sacrifier au bien commun.


Les embarras économiques qui ont provoqué les grèves, se sont encore aggravés. Jamais la « soudure » entre les deux récoltes ne s’est faite avec de pareilles difficultés. L’agitation ouvrière s’est calmée ; néanmoins, en juin, il y a encore des émeutes à Stettin et à Dusseldorf. La ration de pommes de terre tombe dans certaines villes à trois livres, puis à deux ; parfois il n’y a plus de distributions. Les paysans se montrent de plus en plus irrités des mesures brutales prises pour assurer le ravitaillement des villes. Dans certaines parties de l’Empire, la disette devient presque de la famine.

Enfin ce peuple déçu, mécontent et mal nourri, assiste à une crise politique dont les violences révoltent ses habitudes d’ordre et de discipline. Il ne se sent plus sous la poigne d’un gouvernement fort et s’apeure. Jamais il n’a été à ce point las et démoralisé.

Ce trouble profond se révèle par la motion du Reichstag en faveur d’une paix « sans annexions et sans indemnités. » Mais, le lendemain, le Chancelier tombe sous les coups des conservateurs et des pangermanistes. Hindenburg et Ludendorff saisissent les rênes qu’a laissé flotter la main débile de Bethmann-Hollweg.


L’Allemagne avait été à la veille du désastre. Ses ennemis avaient laissé passer l’heure. Pourquoi ajournèrent-ils leur dernier effort ? Manquèrent-ils de clairvoyance ou d’énergie ? On saura sans doute, un jour, le secret de leur défaillance ; mais si des indices fournis par la presse allemande on rapproche les récits publiés dans les journaux des pays neutres et les correspondances saisies sur les prisonniers, le doute n’est point permis : au printemps de 1917, l’Allemagne était dans un tel désarroi moral qu’il eût suffi d’un coup rapide et vigoureux pour précipiter sa défaite et sa ruine ; elle eût été alors incapable de supporter la suprême désillusion, celle qui aurait ébranlé sa confiance dans la force de ses armes et le génie de ses chefs militaires.


ANDRE HALLAYS.