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par les accusations et les outrages qu’échangent les partis : les uns reprochent à Tirpitz d’être payé par les agrariens et les autres à Bethmann d’être à la solde des banquiers.

C’est alors qu’afin de réveiller dans le peuple la volonté de vaincre, le gouvernement tente une « opération de grand style, » pour parler comme les Allemands. Il commence par autoriser les journaux à discuter, « dans une certaine mesure, » les « buts de guerre, » ce qui permet aux pangermanistes de développer leur programme d’annexions et aux socialistes de mener une campagne pacifiste. Puis lui-même intervient : le 12 décembre, devant le Reichstag, le Chancelier propose la paix aux ennemis de l’Allemagne. Il se garde bien de dire quelle paix. Cela du reste importe peu, car il ne s’adresse pas aux belligérants, sachant très bien que ceux-ci sont décidés à repousser son offre. Il parle pour les neutres, il parle surtout pour l’opinion allemande ; c’est elle que vise la manœuvre.

Nous avons montré que, dès le début des hostilités, le premier des dogmes imposés au peuple fut celui-ci : l’Allemagne fait une guerre défensive. Depuis, cette croyance a été soigneusement entretenue par toutes sortes de publications mensongères sur les origines du conflit. Mais l’ennemi a résisté avec une opiniâtreté qui a déçu toutes les prévisions, et le désir de la paix n’a cessé de grandir ; dans l’espoir de se ménager le concours du socialisme international, on a laissé les socialistes allemands prononcer des paroles équivoques et dangereuses sur les responsabilités de la guerre ; on n’a pu empêcher des feuilles clandestines de répandre certains documents qui ne cadrent pas avec la thèse allemande ; le peuple n’est pas sans se demander si en Asie, en Serbie, en Roumanie, les soldats se battent uniquement pour la défense de leur patrie ; enfin, cette question hante tous les esprits : pourquoi la guerre, toujours la guerre, alors que nous sommes victorieux sur tous les champs de bataille ? C’est pour apaiser ces doutes décourageants que le gouvernement propose la paix ; il veut pouvoir prendre acte du refus de l’ennemi, se tourner vers l’opinion et lui tenir ce langage : « Nous avons fait ce que nous avons pu pour vous donner la paix. Jamais nous ne fûmes responsables de la guerre ; mais il y a un fait que nos adversaires eux-mêmes ne pourront nier : en pleine victoire, nous leur avons offert de traiter, désormais ils sont responsables de la prolongation de la guerre,