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l’Empire il ne faut pas penser uniquement aux milieux officiels, civils ou militaires. La terreur de l’individualisme qui hante l’Allemand, lui crée le besoin de se rattacher à quelque groupement moins vaste que celui de l’État. D’où le pouvoir des grandes associations, soit politiques, soit économiques. Dès qu’elles ont de larges ressources et des chefs audacieux, dès qu’elles flattent les convoitises populaires, elles rallient les timides, terrorisent le gouvernement et entraînent le public. Voilà les guides de l’Allemagne.

Doit-on conclure qu’il n’existe pas en Allemagne une opinion publique ? Non : cette opinion est silencieuse, les mœurs et les institutions l’empêchent de s’exprimer, puis la délation est la première des vertus civiques ; cependant, à bien des signes on peut reconnaître que, depuis quatre ans, le peuple s’est trouvé tantôt d’accord, tantôt en opposition avec ses dirigeants, il a connu des heures d’enthousiasme et de lassitude, des sursauts d’énergie, des crises de découragement. Il s’est enivré de ses victoires jusqu’à partager les rêves les plus extravagants des pangermanistes de profession. En d’autres moments, l’appréhension du lendemain, les privations, le soupçon d’avoir été mystifié par ses hommes d’Etat et ses diplomates lui ont inspiré l’ardent désir d’une paix rapide, fût-elle moins lucrative. Jusqu’au mois de juillet 1918, tous ces mouvements de l’opinion influèrent à peine sur la conduite de la politique allemande, encore moins sur celle des opérations militaires. Mais nous voici à un point de la guerre où le public sera peut-être moins silencieux et moins impuissant. Qui sait même si l’opinion de l’arrière, — la seule dont nous nous occupons ici, — sera toujours sans action sur celle des combattants ? Jusqu’à présent les mesures prises par les chefs militaires ont déjoué la contagion. Peut-être le cordon sanitaire tendu entre la nation et l’armée va-t-il se rompre, mais, ce jour-là, il n’y aura plus d’armée allemande.

De quels moyens disposons-nous pour reconnaître les variations de l’opinion ?

Nous avons les récits des neutres qui ont voyagé dans l’Empire. On en peut faire état quelquefois, mais avec prudence, Les Allemands cherchent à ne laisser pénétrer chez eux que des germanophiles éprouvés. Le négociant suisse ou hollandais qui a obtenu la permission de passer la frontière est soumis à une