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l’Empire. Elle met en lui tous ses espoirs, car elle commence à comprendre qu’au milieu des haines déchaînées contre elle, la victoire sur le champ de bataille peut seule assurer son avenir. Par tradition et par tempérament, — surtout en Prusse, — elle a toujours été disposée à considérer les chefs militaires comme les maîtres de l’État. Elle sait qu’elle ne retrouvera pas un second Bismarck. L’expérience de ces deux années de guerre lui a montré ce que valent ses généraux et ce que valent ses politiques. Ses généraux ont été partout vainqueurs, du moins elle le croit, car, s’ils ont échoué sur la Marne, sur l’Yser et à Verdun, ils ont su trouver les mensonges qu’il fallait pour pallier ces revers ; d’ailleurs Hindenburg n’était pas là ! Quant aux politiques et aux diplomates, la nation paie cher leurs faux calculs et leurs fausses manœuvres : la Belgique devait céder à la première sommation, et la Belgique a résisté ; l’Angleterre ne devait pas intervenir, et elle est entrée dans la guerre ; l’Italie devait rester fidèle à la Triple Alliance, et elle a rompu le pacte ; les États-Unis sont chaque jour plus hostiles ; la Roumanie vient de prendre parti contre les Puissances centrales. Chaque Allemand partage l’opinion de ce fonctionnaire qui disait un jour au prince de Bülow : « Nous autres Allemands, nous sommes le peuple du monde le plus instruit et celui qui sait le mieux faire la guerre. Nous avons montré notre supériorité dans toutes les sciences et dans tous les arts. Les plus grands philosophes, les plus grands poètes, les plus grands musiciens sont des Allemands. Nous sommes au premier rang dans les sciences naturelles et dans tous les domaines de la technique. Notre essor économique est merveilleux. Comment se fait-il qu’en politique nous soyons des ânes ? Il doit y avoir quelque part quelque chose qui ne va pas. » Et chaque Allemand, renvoyant cette enquête à des jours moins troublés, s’en remet à un général victorieux du soin de réparer les sottises de ses politiques et les Revues de ses diplomates. Il se donne à Hindenburg, prêt à le suivre aveuglément jusqu’au bout, prêt à accepter sa dictature. Rien désormais ne pourra diminuer sa foi. Les misères de la guerre ne feront qu’augmenter sa confiance.

Et cependant, ce même peuple, qui s’abandonne à un chef militaire, désire ardemment la paix !

La contradiction n’est qu’apparente. La nostalgie de la paix