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LA DECEPTION DE VERDUN

L’année 1916 commence, pour l’Allemagne, sous de fâcheux auspices.

Les Russes attaquent en Bessarabie. La prise d’Erzeroum est un événement plus grave encore. Tout l’édifice d’une Asie germanique est par terre. Fini le rêve des Mille et une Nuits !

L’Angleterre vient d’instituer le service obligatoire ; un jour, elle pourra donc envoyer sur le continent des millions de soldats. Cette perspective éveille quelques appréhensions, car un socialiste impérialiste, Paul Lensch, se charge d’exposer que la guerre sera certainement finie avant que cette armée anglaise soit en état de combattre. « Un service obligatoire avec des millions d’hommes ne s’improvise pas. Il faut des officiers, des sous-officiers et bien d’autres choses encore qui ne s’obtiennent qu’après des années d’efforts. » D’ailleurs le service obligatoire rapprochera les ouvriers anglais des ouvriers étrangers. (Hamburger Echo, 4 janvier 1916.) Comment ne pas écouter d’aussi rassurantes prophéties ? Dans le même temps, des zeppelins bombardent Londres, et quelques Allemands se disent, — tout bas, — que le seul résuÉtat de ces incursions sera d’augmenter la haine du monde contre l’Allemagne. On répond à ces timorés : « Le bon cœur allemand ne refuse pas sa pitié aux victimes des dirigeables… Mais autant qu’on peut observer le sentiment populaire chez nous, il n’est presque personne qui regrette que nos zeppelins soient sortis pour accomplir leur œuvre de destruction… Ces sorties sont sanctionnées par la conscience de la nation tout entière, bien plus, exigées par elle, car nous sommes convaincus que nous possédons en nos zeppelins une arme qui, employée sans égard ni merci, ne pourra qu’influer sur l’issue de la guerre et en hâter la fin. » (Tæglische Rundschau, 18 février 1916.) La « conscience de la nation tout entière » est, évidemment, apaisée, mais elle ne soupçonne pas que le vote du service obligatoire a été la conséquence de ces raids aériens. Depuis quatre années, l’État -major ordonne froidement les pires atrocités, jurant que son unique pensée est d’abréger la guerre, et personne ne s’avise de remarquer que le seul effet de ces infamies a été de montrer aux Anglais et aux Français les plus