Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 48.djvu/311

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Lombardie, aux 240 000 ducats que lui avait légués en mourant, sa femme. Pour les ravoir, il fit sa paix avec Louis XII et comme on ne savait rien lui refuser, il recouvra, en un instant, tout ce qu’il avait perdu. Il recouvra plus encore. Quand on feuillette dans Moreri, la liste des Grands Ecuyers de France, on n’est pas peu surpris de voir figurer, après Pierre d’Urfé et avant Jacques de Genouillac, un étranger investi de cette charge, si enviée de tous les Français. Cet étranger « Galéas de Saint-Séverin » n’est autre que le veuf de la petite Bianca.

De ce jour, qui était un jour de 1506, il suivit la fortune du roi de France. Il retrouvait auprès de Louis XII, d’abord et ensuite de François Ier, ce qui l’avait tant charmé chez Ludovic le More : l’aménité, la courtoisie, le goût des belles choses et des belles-lettres, avec plus de solidité dans les armes. Pendant vingt ans, il fut de toutes les fêtes, de tous les triomphes, en deçà et au-delà des monts, même de ceux qui avaient pour théâtre son ancienne patrie. Il fut aussi de toutes les batailles et par le don de sa vie généreusement offerte il racheta un peu les défaillances de sa mémoire. Lorsqu’il fallut payer à la Fortune les incroyables avances qu’elle n’avait cessé de lui prodiguer tout le long de sa vie, il s’exécuta en beau joueur. Il tomba, le 24 février 1525, en couvrant de son corps le roi de France, comme tombèrent l’amiral Bonnivet, le vieux Louis de la Trémoille et tant d’autres, dans une des plus sanglantes hécatombes dont l’Histoire ait gardé le souvenir. « Je n’ai plus besoin de rien, laissez-moi ! Allez au Roi ! » fut son dernier cri. Puis, sans doute, il regarda autour de lui : : il était dans le parc de Pavie… Comme les nobles bêtes qu’il avait lancées si souvent sous ces futaies, il revenait mourir au lieu même d’où il avait pris sa course vagabonde et glorieuse à travers le monde, près de la chapelle où, trente-six ans auparavant, il avait épousé la petite Bianca. S’il est vrai que les mourants revoient, en un rapide raccourci, tous les décors de leur vie et surtout les jours radieux de la jeunesse, nul doute que les figures qui se penchèrent alors sur le « guerrier heureux, » pour enchanter son dernier regard, furent celles que nous venons d’interroger ici : Béatrice d’Este, Isabelle d’Aragon et Bianca Sforza.


RORERT DE LA SIZERANNE.