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est duc de Milan, car il peut tout ce qu’il veut et obtient tout ce qu’il demande et désire. »

Le même diplomate, rendant compte des moindres détails de la vie somptuaire du Castello, écrivait un autre jour : « Je veux que Votre Excellence sache que le seigneur Lodovico fait faire très secrètement trois zornee (petits manteaux froncés à manches ouvertes, serrés derrière à la taille par une ceinture). Ces trois zornee sont de satin cramoisi bordé de très belles perles : l’une pour le duc (Gian Galeazzo), l’autre pour lui-même (le More), la troisième pour messer Galeaz de San Severino, toutes selon le même modèle, qui est une horloge pour sonner les heures avec ses clochettes, sauf que, dans celle du seigneur Lodovico, il n’y a pas de clochettes, parce qu’il ne se soucie pas que la sienne sonne ; et il y a, sur chaque zornea, une devise de deux vers, comme vous le verrez par la note ci-jointe, et il indiquera celle que chacun doit porter, et les zornee, avec leurs broderies, sont faites secrètement dans les appartements de Sa Seigneurie. » A tout instant et dans les plus petites choses, on retrouve ainsi le soin qu’avait Ludovic le More de traiter Galeazzo comme un égal. Ainsi ce renard enchaîna ce lion.

Il semblait que la chute de l’un dût entraîner l’autre et que le duc, ayant perdu son trône, sa fortune et sa liberté, sans avoir pu terminer aucune de ses entreprises, selon la notation mélancolique de Léonard de Vinci, la carrière de Galeazzo vînt toucher à son terme. Il n’en fut rien. Cet enfant gâté du Destin était destiné à grandir chaque fois que ses soutiens tombaient. Et cela, sans même qu’on put lui reprocher des palinodies excessives. Au contraire, il excita l’admiration, quelque temps du moins, par sa fidélité au malheur. Réfugié à Innsbruck, auprès de l’empereur Maximilien, comme nombre d’autres partisans des Sforza, vivant, dans la retraite, portant le deuil de la patrie envahie et du souverain déchu, on le vit mettre en œuvre tout ce qui lui restait de crédit à la cour de France pour obtenir la liberté du malheureux prisonnier de Loches. Il échoua. Il revint à la, charge. Cela dura quatre ans, ce qui est beaucoup pour une fidélité politique au XVIe siècle.

Enfin, voyant, après des efforts désespérés, que la cause du More était irrémédiablement perdue, il pensa à la sienne propre, aux châteaux et aux terres qu’il avait laissés en