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bibliothèque, le plus souvent, et passe ainsi à côté d’une des destinées les plus radieuses et les plus éphémères qui aient enchanté les hommes, au temps de la belle Simonetta et de Giovanna Tornabuoni.

Ne faisons pas comme lui. Entrons dans ce réduit désert. Tout auprès d’une fenêtre, dans une salle recueillie et silencieuse, voici ce que nous voyons : trois chevalets. Sur l’un est posé un Saint Jean-Baptiste, de Bernardino Luino ; sur l’autre, un Sauveur enfant, du même Luino ; sur le troisième, éclairée de gauche à droite, par la première lumière qui filtre dans la salle, la figure célèbre qu’on a vue partout. Sur un fond olive, la fine tête couverte d’une chevelure radieuse comme des flammes, les tempes serrées dans des bandeaux plus amples encore que les bandeaux dits « Botticelli, » quelques cheveux détachés de la masse pendent en manière de fils, descendent le long des joues plus bas que le menton, plus bas que la gorge, vont presque toucher les perles du collier. Sur un corsage grenat, un surcol d’un marron épais donne l’impression du noir. Le teint blanc et, cà et là, des accents noirs aux commissures des lèvres, à la paupière supérieure, au-dessus de la narine et à l’aile du nez. Tout cela et l’humide éclat des yeux donnent à celle figure quelque chose de la fraîcheur des portraits anglais du XVIIIe siècle.

La première chose qui frappe est son extrême jeunesse et son extrême sérieux. Certes, un profil est toujours une chose sérieuse. Ce sont les portraits de face qui nous sourient et font des frais pour nous : un profil semble regarder la Destinée. Ici, le regard, enfantin encore, et timide, ajoute à la gravité naturelle du profil. Il est pour beaucoup dans l’extraordinaire attirance qu’a cette frêle figure. Bembo, qui a sans doute connu le modèle, définit ainsi la perfection féminine, dans son Traité sur l’Amour, et l’on dirait qu’il a écrit devant ce portrait, sans le quitter un instant des yeux :


Belle chevelure plus ressemblante à or bruny qu’à autre chose, laquelle estant, également my partie sur la fontaine de la teste par une ligne droite et venant à descendre par dessus les espaules jusques aux pieds est troussée en plusieurs beaux cercles. Puis du long des tempes sur les joues, les petits cheveulx branslans doulcement à l’air, qui pendent comme petites houpettes de bonne grâce, en sorte qu’il semble que ce soit un miracle nouveau d’une ombre mouvante