Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 48.djvu/288

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à exécuter le contraire de leurs prescriptions, non point du tout par méfiance mais par gourmandise, que ce sera un éternel sujet et très beau de dispute entre spécialistes, de savoir s’il est mort pour avoir quelquefois avalé leurs drogues ou pour s’en être le plus souvent dispensé…

En tout cas, naturelle ou artificielle, cette fin servait trop bien les projets du régent pour qu’il en ressentît une douleur extrême. On a encore le billet par lequel les médecins lui annonçaient, de Pavie à Plaisance où il était à ce moment-là, que le malade était à toute extrémité et l’on y lit encore, au-dessous de l’adresse, dans un coin du papier, auprès du signe de la potence : cito, cito, cito, urgent, urgent, urgent. Il est facile d’imaginer les sentiments que ces trois petits mots éveillèrent dans cette âme ambitieuse. C’élait pour lui et pour Béatrice, la couronne la plus enviée en Italie, une des plus brillantes du monde. Il avait en poche la promesse de Maximilien, le Roi des Romains, de lui donner l’investiture impériale, si le trône venait à vaquer. Une seule chose pouvait l’arrêter en temps ordinaire : l’hostilité des princes d’Aragon, qui régnaient sur Naples, du Pape peut-être. Mais, dans les conjonctures présentes, les princes d’Aragon avaient fort à faire pour sauvegarder leur propre couronne. La présence de Charles VIII, avec sa formidable armée, paralysait toute velléité d’intervention. En d’autres temps encore, Charles VIII, lui-même, aurait sans doute fait quelque objection à ce tour d’escamotage. En ce moment, les yeux fixés sur Naples, tous ses efforts tendant à sa conquête, il n’allait point laisser derrière lui au lieu d’un allié, un ennemi.

C’est ce qui apparut très nettement à un « Barbare » venu du Nord, mais que les roueries italiennes n’empêchaient pas de voir clair, Philippe de Commynes, alors ambassadeur à Venise. « Je vis ces nouvelles, dit-il, par la lettre de l’ambassadeur vénitien qui estoyt avec luy (Ludovic le More) qu’il escrivoit à Venise et advertissoit qu’il se vouloit faire duc. Et à la vérité dire, il en desplaisoit au Duc (le Doge) et Seigneurie de Venise et me demandèrent si le roy tiendroit pas pour l’enfant. Et combien que la chose fut raisonnable, je leur mis en doute, vu l’a lia ire que le roy avoit du dit Ludovic. Fin de compte, il se fit recevoir pour Seigneur, et fut la conclusion, comme plusieurs disoient, pourquoy il nous avoit fait passer les