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regard du dompteur, ne quitta pas, un instant, le pauvre malade fasciné. L’entrevue se passa en « paroi les qui ne furent que choses generalles », dit Commynes. Pourtant, le petit Francesro se trouvant là, Gian Galeazzo le recommanda au Roi. Celui-ci prit l’enfant dans ses bras et promit de le considérer comme sien. La visite allait s’achever sur un banal échange de souhaits affectueux, lorsque Isabelle « bien piteuse, » dit Commynes, mais plus brave que son mari, sentant que la minute décisive allait tomber dans le sablier où rien ne remonte, parut se décider. Elle rompit brusquement le protocole, se jeta aux pieds du Roi et, tout à trac, le supplia de renoncer à l’Entreprise de Naples.

Charles VIII ne s’attendait guère à ce coup et en resta, d’abord, sot. Toutefois, il ne lui déplaisait pas, au fond, d’être considéré comme un Drus ex machina, transformant toute chose sur son passage. Il releva sa cousine, avec quelques phrases courtoises et désolées sur la fatalité des guerres entreprises, et lui fit entendre qu’ « elle avoit meilleur besoing de prier pour son mary et pour elle, qui estoit encores belle dame et jeune. » Le discours royal ne brillait point par une extrême clarté, ni surtout par une confiance extrême dans le personnage muet qui assistait à l’entrevue, mais on comprenait, de reste, que le sauveur attendu ne sauverait rien. Et, en entendant s’éloigner, dans les profondeurs du Castello, le pas des gardes qui escortaient le roi de France, Isabelle sentit que son dernier espoir, tant pour elle et son fils que pour son frère et son père, la quittait.

Sur ces entrefaites, Gian Galeazzo mourut. Il n’avait pas vingt-cinq ans. Il mourut entre ses chiens et ses chevaux, comme il avait vécu, les ayant fait amener jusque dans sa chambre, pour les voir une dernière fois. C’est une question, encore débattue par les historiens, de savoir s’il a été empoisonné par son oncle. Il semble que, pour expliquer la gastroentérite qui l’emporta, il suffise d’invoquer les excès qu’il commit toute sa vie, la formidable gloutonnerie qu’il manifesta, même dans ses derniers jours, aux moments de rémittence, après des crises violentes. D’ailleurs, lors de sa dernière maladie, son oncle n’était pas là ; sa femme et sa mère y étaient et le veillaient sans trêve. Quant aux médecins que lui envoyait Ludovic le More, il leur obéissait si peu et s’appliquait si bien