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conseillers, entêté seulement de deux ou trois idées, — lesquelles, d’ailleurs, étaient fausses, — apparaissait à une foule de gens, comme un archange venu du ciel pour tout remettre en ordre : l’Eglise, les libertés, les droits des faibles. Isabelle, tout d’abord, ne le considéra pas ainsi. Charles VIII était, pour elle, l’ennemi, puisqu’il venait tout exprès pour chasser son père et son frère de leur royaume. Elle déclara qu’elle ne le verrait de sa vie. Les gestes de l’Antiquité étaient à la mode en ce temps-lii : elle saisit donc un couteau et s’écria qu’elle se le planterait dans le cœur plutôt que de toucher la main du roi de France.

Puis elle réfléchit. Elle se demanda si l’humeur de ce souverain était si constante qu’on ne put espérer en dériver les manifestations, Charles VIII était le neveu de Bonne de Savoie, dépossédée, elle aussi, par Ludovic le More : il devait, depuis longtemps, être mis en garde contre l’usurpateur. Il ne serait donc pas impossible que cet ennemi de son père et de son frère vint à elle en ami. Elle pourrait alors le gagner à sa cause, à la cause des siens, peut-être… Mais, pour cela, il fallait communiquer avec lui, dire ses craintes, réclamer en termes suffisamment clairs sa protection, c’est-à-dire le voir hors de la présence du More ? Entre temps, Gian Galeazzo était tombé malade, alité, claustré dans son château de Pavie, incapable d’aller vers le Roi. Elle ne pouvait le quitter, parce que le poison rôdait autour des portes. C’est le More qui avait amené Charles VIII en Italie : il était son imprésario, le maître de son itinéraire et n’avait nulle envie de le voir écouter les doléances de son neveu. Il multipliait les chasses, les comédies, tous les divertissements propres à l’occuper loin de Pavie et lorsqu’il fallut, enfin, l’y recevoir, il lui fit, sous couleur de l’honorer davantage, préparer des logements hors du Castello où Oian Galeazzo gisait enfermé. Tout cela était d’un bien fâcheux présage.

Heureusement, parmi le peu d’idées qu’il portait avec lui, le Roi en avait une à laquelle il tenait : voir son cousin le duc de Milan. C’était un devoir de famille. Il voulait voir aussi Isabelle d’Aragon : c’était une curiosité mondaine. Et nul stratagème du More ne l’empêcha de la satisfaire. Le jour où, déjouant tout, il dit : « Je veux, » il fallut bien l’amener au chevet du malade. Mais le More y vint aussi. Or, en sa présence, nulle confidence ne pouvait s’épancher. Son regard, le