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« Il n’y a rien de nouveau, ici, écrit de Milan à Mantoue la duchesse de Montferrat, le 2 mai 1492, si ce n’est que le duc de Milan a battu sa femme… »

Nos malheurs sont surtout faits de comparaisons et, chez les femmes, de comparaisons immédiates. Seule à la Cour de Milan, Isabelle eût peut-être souffert cette déchéance. Mais voici qu’entre temps une destinée parallèle et toujours plus heureuse, comparable en tout et supérieure en tout, commençait de tisser sa trame auprès d’elle. Ludovic le More venait d’épouser la cousine germaine d’Isabelle, Béatrice d’Este, de quelques années plus jeune qu’elle et qui devenait ainsi sa tante. La duchesse de Milan était allée en grande cérémonie la recevoir aux portes de la ville et, là, dès le premier pas dans sa vie « ducale, » la petite cousine avait fait un geste qui semblait réclamer la préséance. De ce jour, c’est-à-dire depuis le 22 janvier 1491, il y eut deux souveraines, l’une seule en titre, déjà dans la place, d’ailleurs l’aînée de quatre ans, l’autre nouvelle arrivée, presque une enfant encore, n’ayant que le titre quasi exotique de duchesse de Bari, mais femme et femme aimée du véritable maître et d’un véritable homme d’État, — fort ambitieuse, d’ailleurs, et bien décidée à régner dans le domaine féminin du luxe et des fêtes, autant que son mari régnait, déjà, dans le domaine de la politique et des arts.

Dès lors, ce fut entre les deux princesses une rivalité de tous les instants. Rivalité tout involontaire et inavouée, d’abord, à peine ressentie. Aucune des deux n’était animée contre l’autre d’un sentiment hostile. Vives, enjouées, affectueuses, enfants encore, et ayant longtemps joué ensemble sur les terrasses de Naples, toutes les deux d’ailleurs du même sang, Béatrice d’Este fille de Leonora d’Aragon et Isabelle d’Aragon mettaient tous leurs soins à n’altérer en rien leur mutuelle harmonie. Mais les choses, plus fortes que les volontés, les opposaient malignement l’une à l’autre et une sourde rivalité naissait de mille comparaisons quotidiennes, soigneusement entretenues, il est à peine besoin de le dire, par leurs courtisans réciproques.

Rivalité de poupées, d’abord, ou d’élégance. Ludovic le More couvrait sa femme de bijoux, puisés dans l’inépuisable trésor du Castello. Il l’ornait comme une châsse, avec une puérile