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lettres reçues à Naples semblaient annoncer, si le bonheur à deux lui avait fait oublier qu’il y a des préséances et des étiquettes, en un mot si, à défaut d’un vrai souverain, elle avait trouvé, à Milan, un véritable mari. Mais là, encore, la jeune princesse devait avoir de pénibles surprises. On s’était étonné en Italie, que cet oncle et régent, si jaloux du pouvoir, eût conseillé à son pupille et neveu de se marier, s’exposant ainsi à voir un héritier rendre doublement difficile une éventuelle usurpation. L’étonnement cessa, quand on apprit que l’héritier attendu, ou redouté, n’était ni à espérer, ni à craindre. Les jours passaient et rien n’annonçait qu’il dût venir. Les ennemis du More le chargèrent alors des machinations les plus noires et les plus compliquées.

De son côté, le roi de Naples cherchait à tirer mouture de l’incident. Considérant qu’il s’était écoulé, déjà, dix mois, depuis le mariage de sa fille, sans que le duc de Milan se soit acquitté d’aucun de ses devoirs, il trouvait, là, un ingénieux prétexte pour ne point lui payer les vingt mille ducats qu’il devait encore sur la dot promise. Il menaçait même de reprendre sa fille… Ludovic le More faisait alors comparaître le coupable devant son tribunal, assisté dans la circonstance, de l’archevêque et de quelques notables de la ville, et, au nom de la raison d’État, le gourmandait de son peu de hâte à s’assurer une postérité. L’incident grossissait et devenait international. Les ambassadeurs rédigeaient, pour rendre compte à leurs gouvernements respectifs, des notes diplomatiques, qui commençaient en italien vulgaire et se poursuivaient en latin. Dans ce village verbeux et maldisant qu’était l’Italie princière du XVe siècle, toutes les Cours en faisaient des gorges chaudes.

Enfin, vers les derniers jours de l’année 1490, Isabelle d’Aragon donnait le jour à un fils. L’innocence du More éclatait : non seulement, c’était un enfant, mais c’était un garçon, un héritier ! Jusque-là, on peut imaginer les tristesses et les angoisses de la jeune étrangère à la Cour de Milan… Elles ne devaient point cesser avec la naissance du bien-aimé duchetto, baptisé Francesco, du nom du grand Sforza. Gian Galeazzo, quand il n’était pas à la chasse, se livrait aux plus basses débauches. Il avait, pour le vin, une inclination infiniment plus grande que pour sa femme, et, semble-t-il, le vin mauvais.