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et qu’à confronter les dates et l’artiste, l’hypothèse soit vraisemblable, c’est plus qu’il ne faut pour l’évoquer un instant devant nous et tâcher d’imaginer ce que fut ce passé lointain, comme Léonard, il y a quatre cents ans, dans cette même ville, sur ces feuillets sauves de l’oubli, lâchait d’imaginer, pour l’aviation ou la balistique, confusément, un avenir et des progrès aujourd’hui réalisés.


I

Les chroniqueurs du XVe siècle nous disent que cette Isabelle d’Aragon, dès le milieu de sa vie, qui fut longue, avait coutume de signer ses lettres Isabella de Aragonia unica in disgracia, — ce qui, à première vue, semble une grande prétention. Mais quand on la suit sur la route où elle chemine, parmi les embûches et les précipices, les princes et les bandits de la Renaissance, on éprouve bientôt que nulle, en effet, plus qu’elle n’a pu prétendre au privilège du malheur. Et s’il y a une hiérarchie dans l’infortune, elle en occupe le sommet. Fille du roi de Naples, Alfonso d’Aragon, et d’une princesse de Milan, Ippolita Sforza, fiancée depuis longtemps à son cousin germain, le jeune duc de Milan, qu’elle ne connaissait pas, sinon par ses lettres rédigées par les poètes de la cour ; elle quittait tous les siens, à dix-sept ans, pour venir habiter un pays du Nord. Après les terrasses de l’Uovo sur la baie de Naples, le Castello de Milan, l’hiver surtout, pouvait paraître hyperboréen. Elle épousait un jeune homme, délicat et insouciant, aux longs cheveux blonds, au nez recourbé sforzesque, passionné de chiens et de chevaux, inerte a tout ce qui n’était pas courre le chevreuil, ou « jeter » le faucon aux profondeurs du ciel. Une peinture d’un vif accent réaliste, conservée maintenant à la collection Wallace, nous montre ce prince, encore