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reconnu en cette solidarité un don supérieur à toutes les aptitudes corporelles que les plus magnifiques animaux possèdent, une vertu que nul solitaire de la Jungle, par ses plus merveilleuses performances, n’a jamais égalée.

Ces hommes, donnés par la paix à la guerre incultes de corps et d’âme, ne restreignent pas à leur groupe combattant leur société d’affection. Quand leurs yeux de chair voient la famille de soldats assemblée en chaque équipage, la similitude des épreuves, l’échange des services, l’intimité des habitudes suffisent pour que ces copartageants des heures bonnes ou mauvaises ne se considèrent pas comme étrangers. Soit. Mais ne sont-ce pas des étrangers ces hommes avec qui ils n’ont jamais échangé une pensée, un mot, et dont la vie habite d’autres navires et dont la mort s’ensevelit sous d’autres flots ? Or, toutes ces familles errantes se sentent une seule famille, le risque d’une seule les met toutes en demeure, pour son salut elles s’exposent à périr. Il faut d’autres yeux que ceux de la chair pour distinguer les traits de la race : elle se révèle à ces simples que parfois l’on dédaigne comme grossiers, elle leur inspire de vouloir pour elle, comme les biens les plus nécessaires pour eux, l’indépendance et l’honneur. Leur sollicitude assemble en une société une, chère et souveraine, non seulement les contemporains, mais les générations des morts qui furent la patrie et les futures multitudes par qui la patrie continuera. Le présent seul, et le plus proche, semble remplir de ses besognes impérieuses et vulgaires l’existence de ces petits : mais s’il leur apporte et leur marchande le pain quotidien, ils ne vivent pas seulement de pain. Ils lui préfèrent une foi, que le présent ne contient pas, et qui étend leur être prolongé dans le passé et dans l’avenir.

Ce culte de la patrie étend jusque-là autour de l’homme l’oubli de soi, le miracle le plus nécessaire à la durée de la société, le plus contraire, semble-t-il, à l’égoïsme de la nature, et qu’eux accomplissent comme s’il leur était naturel. Prétendra-t-on que cette préférence pour leur race satisfait encore l’égoïsme ? Mais quelle part de dépouilles et de prestige parvient aux artisans obscurs de la gloire nationale ? Faut-il supposer à ces êtres primitifs cette quintessence de raffinement que le spectacle de la grandeur collective, leur œuvre, les dédommage des ténèbres où est ensevelie leur existence ? Alors quel