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soudaineté et de souplesse, l’éperon, s’ouvrir un chemin entre ses adversaires, et revenir sur eux pour les achever ; tel, « un des gros allemands[à trois cheminées » fuir la proue en flammes, « comme un homme dont la gorge est coupée. » Cet acharnement qui ne compte pas avec l’inégalité des forces coûte parfois cher et c’est alors surtout que la valeur de ce courage apparaît, comme la pureté de l’acier à la place où il se brise. Voici un destroyer qui s’est éperonné avec un croiseur, son gaillard avant est écrasé, sa muraille est ouverte ; mais les machines fonctionnent encore : il ne compte que le mal fait à l’adversaire, il examine « les vingt pieds du blindage qui sont restés accrochés à son avant, » et, — tant il a l’observation attentive et l’esprit libre ! — constate, avec regret, « qu’à en juger par l’épaisseur de la peinture » le navire ennemi « avait dû être repeint bien des fois et qu’il n’était donc pas du dernier modèle. »

Chacun de ces combattants a l’œil à tout. En suivant sa chasse, il signale les détresses des bateaux anglais qu’il a rencontrés et qu’il ne peut secourir lui-même, car il se doit d’abord à l’ennemi. Mais dès qu’il est mis hors d’état de combattre, il s’occupe, si blessé soit-il, de sauver comme lui-même les blessés comme lui. Deux ont mérité de n’être plus connus que sous les surnoms de l’Éclopé et le Paralytique ; celui-ci, éventré à l’avant, le feu à bord et ses machines détruites, celui-là dont une grosse marmite a faussé les principaux organes et l’équilibre, mais laissé intactes les chaudières et l’hélice. A l’Éclopé qui avance encore, mais qui ne se dirige plus, peu de chances restent d’atteindre un port : il rencontre le Paralytique, lui offre la remorque, et l’amarre par l’arrière. Le vent les oblige parfois à se détacher l’un de l’autre, mais, chaque fois, l’Éclopé revient s’associer à l’épave inerte pour laquelle il risque plusieurs jours de périr, et qu’enfin il sauve avec lui. Suivez dans leur agonie ces deux autres destroyers : l’un flambe à l’avant et à l’arrière, ses munitions sautent, il sombre. Ce qui reste de l’équipage, en perdition sur un radeau, est rencontré et recueilli par l’autre navire, et celui-ci a la proue trouée, presque plus de poupe, et brûle aussi. Plusieurs destroyers se détournent de leur route pour le secourir à son tour, ne peuvent l’amarrer, et, pour ne pas prendre feu avec lui, le coulent à coups de canon, mais après avoir recueilli son double équipage. Qui a besoin d’aide ne la demande pas. Elle lui sera offerte, il