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C’est tout l’Allemand, échine roide ou échine cassée : arrogance ou aplatissement. Ainsi, l’Allemagne en est là. Le surcroît, tout ce qu’on raconte, les histoires d’émeutes à Berlin, les bruits d’abdication de l’Empereur en faveur de son petit-fils, avec régence du roi de Bavière, comme l’ordre, si tardif qu’il est rétrospectif, de ne procéder en se retirant qu’aux destructions « exclusivement militaires, » comme les projets de révision constitutionnelle, touchant les rapports des membres du Bundesrath et du Reichstag, ou réglant le droit de paix et de guerre, toute cette verroterie libérale, toute cette pacotille de réformes que déballe le prince-chancelier, ce n’est que mascarade, truc et piperie. Puisque le Président Wilson veut de la « démocratie, » on va lui en mettre partout.

Mais il en est de cette prétendue « démocratisation » de l’Allemagne exactement ce qu’il en est de la prétendue « fédéralisation » de l’Autriche. Nous ne disons plus de l’Autriche-Hongrie, car il semble qu’il n’y ait plus d’Autriche-Hongrie. Il n’y a plus beaucoup de Hongrie, il n’y a plus du tout d’Autriche; il ne peut par conséquent y avoir guère d’Autriche-Hongrie. D’abord, il n’y a pas de gouvernement autrichien : le docteur Hussarek a remis sa démission à l’Empereur; et s’il a encore l’apparence de se survivre à lui-même, c’est qu’on n’a pu décider personne, ni le professeur Lammasch, ni le comte Silva Tarouca, à venir in extremis occuper sa place. Il n’y a pas de gouvernement hongrois : le docteur Wekerlé a, lui aussi, donné sa démission, elle aussi refusée par le roi, faute aussi de pouvoir le remplacer. Derrière eux, et au-dessus d’eux, qui ne sont, le premier que ministre impérial, et le second que ministre royal, le comte Burian, ministre impérial et royal des Affaires étrangères, chancelier de fait, héritier des Beust et des Andrassy (le vieux, le père), et de fait président du Conseil commun de la double Monarchie, est également démissionnaire, également maintenu dans des fonctions qui de plus en plus se dérobent sous lui.

Car, justement, voici l’originalité, la gravité tragique, sans précédent et sans parallèle, de la crise. Ce ne sont pas seulement les ministres qui apportent leur démission à l’Empereur-roi dans les formes du cérémonial : ce sont les peuples qui la lui signifient sans le moindre ménagement. Pour chaque nationalité, des « Comités nationaux » se sont formés, dont l’objet déclaré est de constituer la nation à l’état séparé: jusque dans les Chambres se produisent et vont se multipliant des faits que, l’autre jour, un publiciste allemand appelait par un euphémisme délicat : « des phénomènes centrifuges. » Et