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et un bouffon, comme on s’en donne à cœur joie à l’Odéon, est pur contre-sens. Ranuce Ernest IV n’est ni un sot ni un méchant homme ; mais il est tel que l’a fait le pouvoir absolu : c’est la peur qui le rend cruel, et la même cause explique les terreurs qui le hantent et les caprices auxquels s’abandonne son humeur d’enfant gâté. Autour de lui, la timide princesse Clara Paolina, que les joies de l’horticulture consolent des tristesses de la vie princière, la maîtresse du prince, la marquise Balbi, le bon archevêque Landriani, dix autres composent le tableau achevé d’une cour à laquelle ressemblent et ressembleront toutes les cours nées ou à naître.

Il y manque les raffinements et les subtilités de l’analyse… Il est tout de même difficile d’oublier que la Chartreuse est un des chefs-d’œuvre du roman d’analyse et qui nous a valu, à la suite d’un essai fameux de M. Paul Bourget, toute un renouveau de ce genre de roman qui fait partie de notre meilleure tradition. L’analyse, telle que la pratique Stendhal, n’est pas celle du XVIIe siècle qui recherchait dans les âmes le fond éternel, les grandes forces auxquelles obéit l’humanité de tous les temps. Elle n’a pas cette largeur et cette puissance ; elle procède non de Pascal, mais de Condillac : ce n’est pas là même chose. C’est l’analyse dissolvante et décevante, qui prend un plaisir moqueur à démonter les rouages d’un mécanisme compliqué et à en faire jouer devant nous certains ressorts minuscules et secrets. Le procédé est le même, qu’il s’agisse de la vie intérieure des individus ou de l’histoire des peuples : c’est celui auquel nous devons l’admirable récit des mésaventures de Fabrice à la bataille de Waterloo. Récit admirable, à condition qu’on n’y veuille pas voir un récit de la bataille de Waterloo. Mais c’est le danger des mystifications supérieurement exécutées, qu’on ne voit pas au juste où elles commencent et où elles finissent : les dupes n’ont pas manqué qui s’y sont trompées et longtemps ont affirmé gravement que Stendhal avait, une fois pour toutes, état>li la formule suivant laquelle il convient d’écrire l’histoire militaire. Ainsi, en psychologie comme dans la peinture des mœurs, ce romantique inaugure, sinon le réalisme qui était connu fort avant lui, du moins ce réalisme étroit et minutieux, qui sera celui du XIXe siècle en opposition avec la grande manière des classiques.

Cette analyse si déliée nous a valu les figures inoubliables des personnages de premier plan dans la Chartreuse de Parme. Par-dessus tous les autres, le comte Mosca, type du grand seigneur homme d’État, hautain comme un grand seigneur et dédaigneux comme