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cellule, à l’instant précis où il allait toucher aux mets dangereux, finalement elle facilite son évasion. Nous le retrouvons enfin libre dans un beau château avec vue sur un lac ; il ne tiendrait qu’à lui de couler auprès de sa noble et tendre protectrice des jours tissés d’or et de soie : pourtant il ne fait que languir. Éloigné de celle qu’il aime, il lui faut à tout prix la rejoindre. Au dernier acte, nous apprendrons que cette Juliette est morte, on ne sait d’ailleurs ni pourquoi ni comment, et nous verrons au milieu des soupirs et des gémissements avec accompagnement de trémolos, l’infortuné jeune homme renoncer au monde et entrer au couvent… Il n’y a là rien de très neuf, me direz-vous : mais il y a de l’incohérence. C’est un mélodrame comme un autre, un fait divers illustré et dialogué, un chapitre des évasions célèbres misa la scène, et qui ne vaut ni plus ni moins que beaucoup d’autres productions de la même catégorie. Mais la pièce s’intitule la Chartreuse de Parme. Cela gâte tout.

Car on retrouve bien quelque chose de la Chartreuse de Parme. Les noms sont les mêmes. Le jeune homme s’appelle Fabrice del Dongo, la grande dame est la duchesse Sanseverina, la jeune fille Clélia Conti, et le prince Ranuce-Ernest IV. Nous retrouvons le comte Mosca et le fiscal Rassi et même l’abbé Blanès, dont, au surplus, on ignore absolument ce qu’il vient faire dans le drame de l’Odéon. Mais c’est un des caractères de ces pièces tirées d’un roman fameux, qu’à chaque instant un personnage, un bout de scène, un trait étonne et déconcerte ; il était dans le roman, il y faisait bien, on n’a pas voulu le laisser perdre. L’adaptateur de la Chartreuse de Parme a pris avec le texte de son modèle toute sorte de libertés, sur lesquelles il est peut-être inutile d’insister : cela rappelle tout de même le roman de Stendhal dans les grandes lignes et grosso-modo. Seulement il y manque quelques petites choses.

Il y manque l’atmosphère… Cette atmosphère italienne dont Stendhal raffolait, au point que lui, vieux soldat de Napoléon, réclame dans son épitaphe la nationalité milanaise, s’est, dans le passage du roman à la scène, complètement évaporée. Je sais bien qu’au théâtre il y a la toile de fond, des décors qui représentent un lac, un couvent, etc. Mais avec Stendhal ce n’est pas le paysage qui importe. Celui qui revendique la qualité d’ « observateur du cœur humain, » n’est pas un descriptif. Romantique autant que Chateaubriand, il ne l’est pas de la même manière. Ce qu’il aime dans cette atmosphère italienne, c’est qu’elle est chargée des deux passions qui le ravissent d’aise : l’énergie et la volupté. On a beaucoup discuté sur