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oiseau assez déplumé, un vieil homme au seuil du gâtisme, qui brûle de lui donner son cœur, sa main, sa fortune et son nom de Martin-Puech. Que Nonotte devienne Mme Martin-Puech, et, devant cette union d’une si haute convenance, il va de soi que la famille la plus scrupuleuse n’aura plus rien à dire. Mais Nonotte ne veut pas épouser Martin-Puech. Elle le trouve trop vieux. Elle n’a que cinquante et un ans n’a nullement dit adieu à la vie joyeuse, et ne se soucie pas d’aliéner sa liberté. En vain le conseil de famille, convoqué par Henriette, supplie la vieille diablesse d’abjurer et de se faire ermite. Elle refuse et proclame son droit à vivre sa vie. Elle rive son clou à chacun de ses mentors bénévoles, et leur chante pouilles avec une belle verdeur canaille. C’est tout à fait une fille. Même mariée, ce sera une belle-mère gênante. Même sous le nom de Martin-Puech, elle sera difficile à produire dans un salon. C’est Mme Réjane qui joue le rôle : elle y est merveilleuse de verve, d’entrain, de comique irrésistible et de diable au corps.

Après la scène du conseil de famille, la scène attendue, indispensable, la scène à faire cuire la mère et la fille. Henriette, qui voit s’écrouler son rêve, se répand en plaintes et en reproches. Elle fait à sa mère un âpre tableau des souffrances de sa jeunesse. Elle explique à cette mère, qui ne les a jamais soupçonnés, les ennuis que cela entraine pour une jeune fille d’être née d’un père inconnu et d’une mère trop connue. Ah ! ces chuchotements des petites camarades à la pension ! Ah ! ce voyage en Allemagne et les indiscrétions du passeport !… Le rythme de pareilles scènes veut qu’à un certain moment elles se retournent et rebondissent. A Nonotte maintenant d’élever la voix, et de répondre aux injustes accusations de l’ingrate Henriette. Si cette enfant savait les sacrifices que lui a faits sa mère ! Mais les enfants ne savent pas, ils ne peuvent pas savoir ! Par convenance, parce que sa fille devenait grande et pour que rien n’offusquât sa pudeur, Nonotte a quitté son dernier amant, un amant qu’elle aimait comme peut aimer une amoureuse sur le retour. Jugez du déchirement ! À ce souvenir toujours cuisant, elle s’attendrit, s’apitoie sur elle-même, et peu s’en faut qu’elle ne larmoie. Ces pleurnicheries de vieille courtisane sont en effet à pleurer.

Cela finit par une conversation entre Nonotte et sa fidèle camériste, témoin depuis trente ans de toutes ses campagnes, et confidente de tous ses chagrins. Nonotte est trop malheureuse ; elle ne veut plus voir personne ; elle va se terrer comme une bête malade. C’est décidé… Mais un coup de téléphone la fait changer de sa décision irrévocable.