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l’indéfectible espérance et la foi qui sauve. Nous vivions avec eux la minute bénie de la délivrance. Nous imaginions la cité instantanément pavoisée de ces milliers de drapeaux, sortis comme par enchantement de leurs cachettes sacrées et que nos soldats aperçurent claquant à toutes les fenêtres, pour les fêter et saluer leur entrée libératrice… C’est de ces images-là que nous avions plein les yeux. On comprendra l’effort qu’il nous a fallu pour nous en détourner et tâcher de fixer notre attention sur une autre image, — qui s’intitule Notre Image, — et que voici.

Une certaine Nonotte, très cotée dans le monde de la galanterie, a une fille, Henriette, qu’elle a élevée du mieux qu’elle a pu et qui, en effet, est une honnête fille. Henriette a soif de vertu, d’ordre, de régularité. Elle veut se marier honorablement, se plier à la règle sociale et familiale, vivre en honnête femme. Il n’y a pas de désir plus légitime, — et il n’y en a pas de plus scabreux quand on est la fille de Nonotte… Or, ce rêve, Henriette pourrait le réaliser, si sa mère consentait à certaines concessions. Elle est aimée d’un jeune homme que nous ne verrons pas, mais qui, parait-il, est un jeune homme très bien, appartenant à une excellente famille. Cette excellente famille, sans doute pareille à toutes les bonnes familles françaises, ne considère nullement comme impossible une alliance avec Nonotte et la fille de Nonotte. Elle accepte Nonotte et sa fortune, qui est une fortune de l’origine la plus suspecte, mais une belle fortune. Elle accepte les huit cent mille francs de dot que Nonotte donne à sa fille. Elle accepte tout, ou plutôt elle avale tout. C’est une famille où l’on a de l’estomac… Toutefois elle met à cette acceptation universelle, ou à cette capitulation sur toute la ligne, certaines conditions. Elle a rédigé un petit programme que lui dictent le sentiment de sa dignité et le juste souci de son honorabilité. L’article essentiel en est que Nonotte devra se marier, elle aussi, elle la première, et, après tant d’autres unions, on contracter une qui soit légitime : cela est d’une importance considérable pour la rédaction des billets de faire part. Et il faut que le mari de Nonotte soit riche, très riche, afin que la fortune de Nonotte aille se perdre dans ce Pactole et se confonde avec lui. — Tels sont les scrupules de cette honorable famille ; et n’est-ce pas en effet à ses scrupules que se reconnaît l’honorabilité d’une famille ?

La Providence qui s’occupe de ces choses-là, ayant par ailleurs des distractions, a justement préparé dans ses conseils le mari qu’il faut pour Nonotte. Elle lui tient en réserve l’oiseau rare. C’est un