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le partage de la Pologne est de 1772. » Eh ! bien, oui, l’annexion de la Silésie est de 1744 et ainsi de quatre ans postérieure à la publication de l’Antimachiavel. Mais, ces quatre ans, Frédéric II les a employés à préparer son coup machiavélique et à le préparer par les moyens les plus contraires aux doctrines de l’Antimachiavel. La lettre à son « très pacifique » Jordan, du 25 juin 1742, est d’un jeune roi qui n’a que deux ans de règne. Et, quant aux lettres au « cher charlatan » Podewils, au colonel de Camas et au comte de Truchsess, que j’ai citées et qu’on a vues toutes pleines de fourberie, elles sont tout à fait contemporaines, je ne dis pas de la composition, mais de la publication de l’Antimachiavel : plusieurs même sont de quelques mois antérieures à la publication de l’Antimachiavel. De sorte qu’en publiant son ouvrage, à la fin de l’année 1740, Frédéric II ne craignait pas de s’engager à l’excès, malgré les remontrances de Voltaire. Il ne s’engageait pas du tout ; que faisait-il ? mais il trompait son lecteur ! Il attrapait son lecteur : il l’invitait à ne pas se métier du prince si honnête, et peut-être un peu naïf, un peu crédule apparemment qui avait rédigé le manifeste éloquent de l’honnêteté politique.

S’il y avait deux Frédéric, le jeune philosophe antimachiavéliste et puis le plus fourbe des rois, — toujours est-il que le plus fourbe des rois était né à la fourberie et travaillait de son métier de fourbe depuis des mois lorsque parut l’Antimachiavel, — Frédéric II n’aurait pas laissé paraître et n’aurait pas désiré que parût, à la fin de Tanné 17.10, le livre du prince royal. S’il l’a publié, à cette époque, ce fut certainement pour s’en servir. La publication de l’Antimachiavel au moins est machiavélique. Sa composition ? Mais elle n’est pas si ancienne, lorsque parait l’ouvrage. Et pourquoi ne veut-on pas que l’auteur de l’Antimachiavel, qui l’a fait imprimer pour s’en servir, l’ait écrit pour s’en servir ?

Il s’en est servi. « A force de discourir sur la modération, la paix, la liberté, le bonheur qu’un bon cœur trouve dans le bonheur des autres, dit Macaulay, Frédéric II avait trompé des hommes qui auraient dû savoir à quoi s’en tenir. » Ces hommes attendaient un jeune Télémaque de Fénelon, tandis que le jeune Frédéric II fomentait l’intrigue dont le résultat fut l’annexion de la Silésie.

Seulement, on suppose, en Frédéric II, un changement du tout au tout qui se fût produit le 31 mai 1740, jour de son avènement. Or, après le 31 mai 1740, Frédéric II n’a pas renoncé à tenir des propos dignes de l’Antimachiavel. Voyez ses lettres à Fleury. Elles sont riches de maximes édifiantes, riches de désintéressement, de simplicité, de