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commencent à devenir contraires au bien-être de ses peuples… » C’est tout à fait, dès l’année 1742, la théorie machiavélique de l’avant-propos.

Frédéric II est monté sur le trône le 31 mai 1740. Aussitôt il est au courant des affaires ; et, le 15 juin 1740, il rédige une instruction secrète pour son colonel de Camas qui va le représenter à la cour de France. Il lui ordonne de témoigner les meilleurs sentiments au roi de France. Eprouve-t-il en vérité de si bons sentiments ? Oui ; « pourvu, dit-il, que mes véritables intérêts s’y puissent prêter. » Il ajoute : « Il faut faire accroire aux Français que je leur fais grande grâce si je me relâche en leur faveur sur le duché de Juliers et que je me contente, de celui de Bergue. S’ils vous parlent du traité secret… » Le traité de la Haye, du 5 avril 1739 ; peu importe… « vous n’avez qu’à vous retrancher sur l’article 4, dont voici la teneur… » Peu importe… « et qui est fécond en ressources pour se justifier, si l’on veut rompre. » Le jeune auteur de l’Antimachiavel, deux semaines après son avènement, a cherché, a trouvé, dans les traités qui le devraient lier, les arguments de rupture. Et, cette leçon qu’il donne à son colonel de Camas, toute sa lignée l’a reçue ; toute l’Allemagne en a profité. Lisez, dans Notre avenir, du pangermaniste von Bernhardi, le chapitre intitulé Les moyens d’action de la politique extérieure : « La diplomatie a un talent tout particulier pour choisir dans les accords internationaux les formules qui permettent des interprétations diverses… » Autrement, n’est-ce pas ? la vie serait impossible ; et Bernhardi se réjouit de constater que, « dans les relations internationales, les questions de droit sont le plus souvent fort douteuses : » c’est là qu’on travaille, si l’on n’est pas un béjaune !

Avec beaucoup d’habilité, avec une rouerie insigne, Frédéric II pendant les premiers temps de son règne, joue de la Fiance et de l’Angleterre, joue de l’une contre l’autre et se joue de l’une et de l’autre. Le 18 juin 1740, il écrit au comte Truchsess de Waldbourjr, son ambassadeur à la Cour de Hanovre : « Il faut affecter devant les ministres ou les créatures françaises beaucoup de cordialité avec les ministres anglais, quand même il y en aurait très peu. » Le 2 août, c’est charmant. Il écrit au colonel de Camas, à Paris : « Vous devez faire connaître, avec toute la politesse imaginable, que la Cour d’Angleterre me presse fort d’accepter le parti avantageux qu’elle m’offre, mais que je tiens ferme, par un principe de l’amitié et de l’attachement que j’ai pour la France ; » seulement, au cas où la France n’offrirait pas autant que l’Angleterre, « on ne saurait prendre en