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c’était une affaire de vie ou de mort également, pour l’honneur britannique, de défendre la neutralité belge ; ou bien qui désormais se lierait aux pactes signés par la Grande-Bretagne ? Et le chancelier, furieux et piteux : « Mais à quel prix ce pacte serait-il tenu ? » Bel et bien, c’est trop cher !… En somme, l’Allemagne était engagée : elle avait signé la neutralité belge. Seulement la neutralité belge vint à la gêner, lui pareil cas, vaut-il mieux que l’Allemagne pâtisse ou que le pacte soit rompu ? Le gouvernement de Guillaume II a répondu, comme Frédéric II : « Quel serait l’imbécile qui balancerait pour décider cette question ? » Le gouvernement de Guillaume II suivait à la lettre la doctrine formulée par Frédéric II en 1775.

Nous sommes en présence d’une doctrine. Et l’on sait comme elle s’est épanouie. Peut-être n’est-il pas inutile d’en regarder les commencements. On les trouvera dans un gros livre un peu ardu qu’a récemment publié M. le commandant Weil, La morale politique du grand Frédéric, d’après sa correspondance. A vrai dire, c’est moins un livre qu’un abondant recueil de documents qui serviraient à l’examen de cette morale politique. M. le commandant Weil a tiré de la correspondance de Frédéric II les pièces les plus importantes, notes et dépêches écrites depuis l’avènement du roi, le 31 mai 1740, jusqu’au mois de septembre 1742. Il a raccordé ces extraits par de courts résumés des événements et de petits commentaires. Le livre n’est pas fait ; l’auteur donne tous les documents nécessaires, et d’autres.

Or, ce roi qui, après quelque trente-cinq années de fourberie, formule sa théorie politique est le même qui, à la veille de son règne, écrivait l’Antimachiavel et attendrissait Voltaire par l’exquise ingénuité de ses principes. Voltaire présentait ainsi l’œuvre du « vertueux » écrivain : « L’illustre auteur de cette réfutation est une de ces grandes âmes que le ciel forme rarement pour ramener le genre humain à la vertu par leurs préceptes et par leurs exemples… » Suivent de grands éloges de l’ouvrage : « Je le crois mieux fait et mieux écrit que celui de Machiavel ; et c’est un bonheur pour le genre humain qu’enfin la vertu ait été mieux ornée que le vice… » Le 31 mars 1738, le prince Frédéric, ayant reçu copie de l’Histoire du siècle de Louis XIV, écrivait à Voltaire : « Votre Histoire m’enchante. Je voudrais seulement que vous n’eussiez point rangé Machiavel, qui était un malhonnête homme, au rang des autres grands hommes de son temps. Quiconque enseigne à manquer de parole, à opprimer, à commettre des injustices, fût-il d’ailleurs l’homme le plus distingué