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dogmatiste et se plaît, selon l’usage des Boches, à transformer en doctrines ses turlupinades. Il écrit : « Les princes sont les esclaves de leurs moyens. L’intérêt de l’État leur sert de loi ; et cette loi est inviolable… » On voit comme il est malin, comme il a su passer de la facétie aux principes ; venant de l’arbitraire et du caprice, il s’établit sur le terrain solide d’une loi. Et cette loi, qui lui permet de violer toutes conventions, est inviolable : quelle chance ; et le joli résultat d’une dialectique industrieuse !… « Si le prince est dans l’obligation de sacrifier sa personne même au salut de ses sujets, à plus forte raison doit-il leur sacrifier des liaisons dont la continuation leur deviendrait préjudiciable… » On voit le stratagème dialectique : les traités n’engagent que le prince et ne sont que ses « liaisons » particulières ; donc, si le prince aime son peuple comme il a le devoir de l’aimer, il sacrifiera ses amitiés, ses relations et tendresses de cœur à l’intérêt de son peuple. Mais il faut donc que le prince, qui est engagé, lui, par les traités qu’il a ornés de son parafe, aille à se déshonorer quelquefois ? Attendez : « Il me parait clair et évident qu’un particulier doit être attaché scrupuleusement à sa parole, l’eût-il même donnée inconsidérément. Si on lui manque, il peut recourir à la protection des lois et, quoi qu’il arrive, ce n’est qu’un individu qui souffre ; mais à quels tribunaux un souverain prendra-t-il recours, si un autre prince viole envers lui ses engagements ? La parole d’un particulier n’entraîne que le malheur d’un seul homme : celle des souverains, des calamités générales, pour des nations entières. Ceci se réduit à cette question : « vaut-il mieux que le peuple périsse ou que le prince rompe son traité ? » Répondez. Frédéric II répond : « Quel serait l’imbécile qui balancerait pour décider cette question ? » Voilà, en quelques lignes éloquentes, la théorie de la fourberie internationale selon Frédéric II, roi de Prusse.

Or, le 8 août 1914, Sir E. Goschen, ambassadeur de la Grande-Bretagne à Berlin, allait voir M. de Jagow, secrétaire d’État de Guillaume II, et lui reprochait la violation de la neutralité belge. M. de Jagow répondit que « la sécurité de l’Empire rendait absolument nécessaire la marche des troupes impériales à travers la Belgique. » Sir E. Goschen alla causer ensuite avec le chancelier de l’Empire, lequel se désola d’apprendre que, « juste pour un mot, — neutralité, un mot dont on n’a si souvent tenu aucun compte, en temps de guerre, — juste pour un chiffon de papier, » la Grande-Bretagne se fâchait : « c’était, pour l’Allemagne, une affaire de vie ou de mort, d’avancer à travers la Belgique. » Sir E. Goschen répliqua :