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même s’imaginer qu’en achetant un kilogramme d’argent moyennant 100 francs d’or et en monnayant avec ce lingot 222 francs d’argent, on gagnait 122 francs. Simple illusion d’ailleurs : car, dans tout système monétaire bien ordonné, l’Etat doit être prêta racheter ses monnaies divisionnaires au moyen de la monnaie libératoire : contre 222 francs d’argent nous devons 222 francs d’or. De plus, si le Trésor voulait un jour démonétiser une partie de ce stock d’argent, rien ne nous garantit qu’il revendrait le métal au prix auquel il l’a acheté : il pourrait subir de ce chef une perte considérable.

Aujourd’hui, ce profit, même apparent, n’existe pour ainsi dire plus, le cours de l’argent s’étant rapproché du pair et étant majoré, pour nous Français, de la prime du change anglais ou américain, puisque c’est à Londres ou à New-York que nous achetons les lingots de métal blanc qui approvisionnent notre Hôtel des Monnaies. Dès lors, ce n’est plus de bénéfice qu’il faut parler comme résultat de ces opérations, mais au contraire de perte possible et même vraisemblable. Après la guerre, notre circulation sera saturée d’espèces d’argent qui sortiront en foule de leurs cachettes et qui feront renaître des inquiétudes analogues à celles que nous ressentions il y a un quart de siècle, lorsque nous trouvions excessive la quantité déçus qui était dans les caves de la Banque de France et entre les mains du public. Au 31 décembre 1893, l’encaisse argent de la Banque était de 1 261 millions, son encaisse or de 1 702 millions. Vingt ans plus tard, au 31 décembre 1913, l’or s’élevait à 3 507 millions, l’argent descendait à 638 millions. La proportion de re dernier dans le total était tombée de 42 à 15 pour 100. Ce changement était dû à la politique suivie avec persévérance par le gouverneur, qui se préoccupait à la fois de faire rentrer le métal jaune et de mettre en circulation le plus possible de métal blanc. Dans son rapport à l’assemblée de janvier 1914, M. Pallain disait : « La prépondérance du métal jaune dans nos réserves s’affirme de plus en plus, » et se réjouissait de cette constatation.

Nous avons rappelé qu’en 1893 l’une des crises les plus violentes qui se soient jamais abattues sur le marché de New-York fut provoquée par la crainte qui se répandit dans le monde entier de voir l’étalon américain passer de l’or à l’argent. Les porteurs de valeurs américaines, dont le paiement, intérêt et