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tragiques Ou familières. Un double courant de drame et de naturalisme commence, pour deux cents ans, d’emporter l’art gothique dans une voie d’où il ne sortira qu’après avoir épuisé jusqu’à la satiété toutes les ressources du réalisme. C’est alors seulement que, las de vulgarités et de convulsions, les artistes reviendront demander à l’antiquité la discipline de la raison et les lois de la beauté.


IV

Tel était ce chef-d’œuvre, fait de mille chefs-d’œuvre, miroir de ce pays à l’une des plus belles époques de son histoire : toutes nos traditions, la flore de nos campagnes, la religion de la femme, le culte attendri de la Vierge, l’amour de la beauté et de la vie, l’héritage séculaire de la culture antique, l’union radieuse du christianisme et de l’esprit classique, tout ce qui formait les titres de notre civilisation et quelques-uns des traits éternels de la France, raison et sentiment, ordre, élan, poésie, et la grâce enfin, et le sourire, étaient là. Ils étaient là, fondus avec cette harmonie qui était un enchantement et qui arrachait au grand Rodin ce cri mélancolique : « Nous ne sommes plus que des épaves ! »

Cette cathédrale était une des beautés du monde. Elle était le sanctuaire de notre histoire, un des trésors de notre peuple. C’est là que la patrie devenait religion. Jeanne d’Arc y avait fait couronner le roi de Bourges. Est-ce cela qu’ils ont voulu détruire ? Tout cet ensemble de grandeurs, cette arche sainte de souvenirs avaient traversé sept cents ans ; les guerres civiles ou étrangères, les tempêtes de la Réforme et de la Révolution, les plus grandes folies et les pires catastrophes avaient épargné constamment ces pierres vénérables. Il a fallu venir jusqu’à nous pour voir oser ce sacrilège et pour rapprendre au monde ce que c’est que des ruines. Et de tous les désastres causés par cette guerre, il n’y en a pas qui surpasse le désastre de ce grand naufrage.

En vain l’Allemagne proteste de son innocence et s’indigne qu’on l’appelle barbare ! Elle montre ses universités modèles, ses séminaires, ses musées, ses livres d’esthétique et d’archéologie. Elle n’effacera pas son crime : les pierres meurtries se révoltent et la lapident de leurs cris. Tous les peuples avaient