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aimer surtout, c’était l’expression de la physionomie : le front pur, les sourcils arrondis, les joues planes et calmes, les yeux gais, l’ourlet spirituel des lèvres, l’air d’une jeune fille avec la bonté de la femme. Un obus a fauché cette précieuse tête.

Mais l’homme le plus remarquable de toute cette équipe, c’est celui qu’on peut appeler à volonté du nom de ses ouvrages les plus célèbres, le « Maître de sainte Anne » ou le « Maître de saint Joseph. » Celui-là possède de beaucoup le tempérament le plus vigoureux et le plus accusé, une verve, une force intarissables. Dans toute la cathédrale, c’est lui qui mène le chœur. C’est lui ou ses élèves dont la main se reconnaît dans presque toutes les parties de la décoration, dans la Mort de Goliath, dans la foule des sculptures du porche intérieur, dans le plus grand nombre des anges et des statues de rois ou d’apôtres qui règnent dans les hauteurs de l’édifice. Il est partout présent ; son art a fait événement dans l’école. C’est lui qui a donné à cette énorme masse de pierre son grand frémissement de joie.

Sans doute, il y a dans cette production immense beaucoup de morceaux d’atelier, des choses exécutées de pratique et qui sentent un peu la hâte ou la routine. Mais là où le Maître met sa griffe, quels chefs-d’œuvre ! Il a, dans le canon des corps, des proportions plus élancées, des finesses, une gracilité toutes nouvelles ; les têtes d’un volume étroit se dégagent vivement sur des cols minces. Tout, chez lui, jusqu’au geste, est élégance, esprit. Il a une manière de draper, une façon de varier les systèmes de plis, d’obtenir par-là des reliefs et des ombres pittoresques, des lumières et des accents. Sa sculpture a, pour ainsi dire, plus d’arêtes et plus de saillies. Toute l’exécution en devient plus précieuse. Les masses plus divisées s’ordonnent et se composent avec plus de souplesse et de diversité. Il a découvert en plastique ce qu’on nomme « l’effet : » on assiste pour chaque statue à une recherche, à une trouvaille ; on voit le maître modeler sa maquette, étudier sur le mannequin le détail de son arabesque, inventer chaque fois quelque combinaison. Il introduit dans la sculpture plus d’air et de mouvement que personne. Toute son œuvre frappe par un caractère singulier de dilettantisme et de virtuosité. Elle a quelque chose d’aigu, une pointe, cette espèce d’inquiétude piquante de la forme, qui donne tant de prix à certaines œuvres de la Renaissance, et en même temps une abondance, une fraîcheur d’invention qui