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pour qui la forme humaine devient le symbole nécessaire de chaque élément de la construction ; qui ne peut concevoir une porte, un pinacle, un contrefort, une galerie, un membre quelconque de l’architecture, sans le douer de vie et lui prêter une figure ; — un Michel-Ange du XIIIe siècle, qui a réalisé sur toute une cathédrale ce que l’autre, celui du XVIe, n’a pu, une fois dans sa vie, ébaucher qu’en peinture à la voûte de la Sixtine. On n’avait jamais vu, et l’on ne devait plus revoir, un tel « animateur, » une passion créatrice d’une telle envergure qu’il ne lui suffit pas du champ d’une façade, fût-ce la façade d’une cathédrale, et qu’elle recherche, invente de nouveaux espaces à décorer : l’artiste perce les tympans pour faire entrer le jour à flots et pour trouver à l’intérieur une matière inédite, imaginant alors ce décor unique, cette paroi interne de la grande nef, au-dessous de la rose, — paroi aux mille sculptures, pareille à un immense diptyque, a quelque merveilleux Retable de Poissy déployant de chaque côté des portes les registres aux cent personnages de sa double feuille d’ivoire.

On s’étonne qu’un tel enthousiasme n’ait été qu’une flamme éphémère ; elle n’a duré qu’un moment et s’est perdue bientôt sans éveiller d’imitateurs. C’est une des raisons qui l’ont fait méconnaître, et c’est la grande différence avec la Renaissance italienne du XVe siècle : celle-ci s’est prolongée et développée continûment pendant une période de plus de cent années, offrant à l’esprit le tableau d’une histoire magnifique et suivie. L’école de Reims a été, au contraire, peu comprise, ou plutôt un second principe, qui apparaît dans cette école à côté du premier, devait bientôt l’étouffer et prendre un développement qui allait éclipser et faire oublier pour longtemps le sens de la beauté.


Ce principe, encore une fois d’ordre sentimental, mais d’essence moins raffinée, par conséquent plus populaire, c’est la recherche de l’émotion dramatique. Jusqu’alors, l’art du moyen âge raconte peu, ou ne raconte que pour édifier ou instruire ; il ne s’occupe point d’émouvoir ou de toucher. Il sait exprimer des caractères, surtout dans leurs aspects permanents et paisibles ; il n’exprime guère les émotions dans leurs nuances fugitives. Les grandes statues d’apôtres ou de saints qui font la haie aux ébrasements des porches des cathédrales sont souvent des