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façade de Reims n’est plus qu’un hymne à Notre-Dame. Il semble, si l’on ose le dire sans hérésie, il semble que le monde rêve d’un nouveau mystère, d’une autre Incarnation, cette fois dans la femme. L’humanité se divinise dans la plus céleste de ses filles. Elle dit moins : « Notre Père, » elle murmure : Ave Maria.

Sans doute, on tremble de prêter aux faits, par des formules trop absolues, l’apparence d’une consistance qu’ils n’ont pas. Le culte de la Vierge est vieux comme l’Eglise. Ses racines sont surtout profondes dans l’Eglise française. Presque toutes nos cathédrales portent le nom de Notre-Dame. Mais, de la porte de Senlis, où pour la première fois la personne de la Vierge occupe la place capitale, là où la tradition avait toujours montré son fils[1], à ce portail central de Reims, où elle règne sans partage, où l’on ne voit plus qu’elle, et qu’elle triomphante, — quelle évolution ! Il y a là évidemment un phénomène moral, un bouleversement de la sensibilité qui mériterait une histoire. Ce n’est pas le lieu de la faire. Il suffit que nous en ayons un symbole visible dans le remaniement de la façade de Reims, et dans la brusque saute d’idées qui en fit modifier tout le premier programme. Cette façade est le manifeste d’une nuance religieuse où le côté émotif l’emporte sur le côté intellectuel. Toutes les singularités qu’elle présente, toutes les questions qui se posent à son sujet, viennent de là.

Il va sans dire qu’aucun artiste n’a pu prendre sur lui une pareille dérogation aux habitudes consacrées : le maître de Reims, comme toujours, n’a fait que suivre les indications d’un clerc. Mais l’artiste et le théologien sont ici en profond accord. L’un et l’autre sont d’un temps ou les choses de la pensée pure cessent d’intéresser avant tout les esprits. L’âme devient moins sensible aux belles ordonnances, à la rigueur des développements et des démonstrations ; elle n’a plus le même besoin qu’auparavant des nobles constructions idéales et des systèmes. L’âge précédent eût-il souffert certaines disparates, comme celles qui déparent la porte de droite de la façade ? Ces négligences, dont une autre époque se fût scandalisée, semblent aujourd’hui sans importance. Des objets inédits, ignorés autrefois, passent au premier plan.

  1. E. Mâle. Le portail de la Vierge à Senlis, dans la Revue de l’art ancien et moderne (Année 1912 ! )